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pour le catholicisme, le P. Pierling, tout en reconnaissant qu’aucune conclusion ferme ne s’en dégage, y voit la preuve du penchant de l’Empereur vers l’éclectisme.

« Sa pensée inquiète et indécise, dit-il, avait de la peine à se renfermer dans un dogme immuable, et sa volonté flottait au gré de ses convictions changeantes. Un travail intense et continuel s’opérait dans son esprit. Pourquoi, après tant de déceptions, son regard, comme d’aucuns le prétendent, ne se serait-il pas tourné vers Rome ? »

La mission de Michaud auprès du Pape, aujourd’hui prouvée, démontre qu’il s’est tourné de ce côté. Mais rêvait-il déjà de faire de la Russie une nation catholique et si, conformément à son désir, une négociation s’était engagée à Pétersbourg entre théologiens, ne l’aurait-il pas rendue vaine en proposant des transactions chimériques et des combinaisons inacceptables ? (c C’est là le secret de Dieu, » répond avec raison le P. Pierling, prononçant ainsi le seul mot qui convienne en la circonstance.

Il est du reste remarquable que le mystère qui enveloppa les sentimens religieux d’Alexandre dans les derniers temps de sa vie se soit prolongé, après sa mort, autour de sa mémoire. On sait que, bien que sa femme et ses serviteurs eussent reçu son dernier soupir, la piété populaire, renchérissant sur la vénération dont, vivant, il avait été l’objet, créa la légende de sa survivance. Cette légende, qu’à une date récente le grand-duc Nicolas a réduite à néant, ne prit fin qu’au mois de janvier 1864. A cette époque, mourut en Sibérie un vieillard vénérable qui s’était révélé comme thaumaturge et dans lequel des fanatiques, le considérant comme le favori de Dieu et le père des humbles, prétendaient reconnaître le souverain décédé quarante ans auparavant. Le fait ne mériterait pas d’être mentionné, s’il n’était une preuve de l’admiration que le peuple russe avait vouée à son empereur et du prestige dont reste auréolée la mémoire du souverain qui, quoique inférieur à Napoléon, fut tour à tour son rival, son allié et le destructeur de sa puissance.


ERNEST DAUDET.