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par le Saint-Père. Mais, comme un haut fonctionnaire russe et l’ambassadeur de Russie l’accompagnaient, on ne fit, dans cette première entrevue, » qu’échanger les politesses ordinaires. » Quelques jours plus tard, dans une seconde audience, absolument privée celle-là, Michaud put s’acquitter de la mission secrète dont il était chargé. A en croire le récit que plus tard il a fait lui-même au comte de l’Escarenne et à la duchesse de Laval-Montmorency, fille de Joseph de Maistre, il se serait mis à genoux devant le Pape et, sous le sceau du secret, il lui aurait annoncé la ferme volonté de l’Empereur d’abjurer personnellement l’orthodoxie et de ramener à l’unité les peuples soumis à son sceptre. Il aurait demandé en outre au Saint-Père, au nom de l’Empereur, d’envoyer à Pétersbourg un théologien muni de pleins pouvoirs. Ce messager romain devait être un simple prêtre qui plus facilement passerait inaperçu. Dans la capitale russe, il devait loger au couvent des Dominicains et l’on se serait entendu pour régler la grande affaire.

Le Pape se prêta avec empressement à cette combinaison ; le messager fut désigné : c’était dom Mauro Cappellari, abbé du couvent camaldule de San Gregorio de Monte-Cello. Dom Cappellari était déjà vieux ; il s’effraya à la pensée d’un si long voyage et supplia Léon XII de le lui épargner. Après avoir exigé de lui l’engagement solennel de ne pas trahir la confidence qui venait de lui être faite, le Pape chercha un autre messager. Son choix tomba encore sur un moine, le P. Orioli, qui fut plus tard cardinal. Orioli se préparait à partir pour Pétersbourg, lorsque arriva à Rome la nouvelle de la mort d’Alexandre, décédé à Taganrog, le 17 novembre, événement douloureux qui rendait inutile le voyage de l’envoyé du Saint-Siège.

Tel est le récit du général comte Michaud, fait par lui à plusieurs personnes, à une époque ultérieure. On ne saurait admettre, sans faire injure à sa mémoire, qu’il ait forgé de toutes pièces cette histoire émouvante ; l’injure serait d’autant plus imméritée que, dans une certaine mesure, son récit a reçu une confirmation d’une importance capitale, celle de dom Mauro Cappellari, qu’on a vu demander à Léon XII de ne pas l’envoyer en Russie et qui lui succéda sur le trône pontifical sous le nom de Grégoire XVI. Devenu pape, il a pu raconter ce qui s’était passé au Vatican en 1825. Il semble bien d’ailleurs que l’empereur Nicolas Ier, successeur d’Alexandre, en fut informé quelques