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connaissance des nombreuses lettres que l’Empereur échangeait avec Golytzine et Kochéleff et qui sont maintenant sous nos yeux. D’après lui, ils ont été trompés par cette double circonstance qu’au congrès de Vienne, l’Empereur avait entretenu de son projet, encore vague et confus dans sa pensée, le chancelier d’Autriche, et qu’à Paris, en 1815, alors que ce projet avait pris corps dans son esprit, il en communiqua le texte à Mme de Krudener. Il y pensait depuis trop longtemps pour qu’on puisse admettre qu’elle le lui avait inspiré ; elle l’approuva sans doute ; mais ce n’est pas à elle qu’en appartenait l’idée première. Au surplus, et quelle que soit à cet égard la vérité, la convention solennelle qui liait étroitement, dans un intérêt de préservation politique et sociale, les Cabinets européens doit être considérée comme le résultat des changemens survenus dans la mentalité religieuse d’Alexandre.

Ils en eurent un autre qui se produisit dans sa conduite privée : sa maîtresse fut éloignée. Au commencement de 1818, répondant à Kochéleff qui avait paru redouter le retour de la favorite, Alexandre écrivait : « Je ne puis différer de vous dire un mot sur l’arrivée à Pétersbourg de Mme de Naryshkine. J’espère que vous connaissez trop bien mon état présent pour nourrir la moindre inquiétude sur mon compte à ce sujet. Au reste, aurais-je été encore homme du monde qu’il n’y aurait pas eu de mérite pour moi à rester étranger à cette personne après tout ce qui s’est passé de sa part. » Et, comme pour sceller cette déclaration d’un cachet religieux, il ajoutait : « Tout à vous de cœur et d’âme en Notre Divin Maître. » En même temps, il se rapprochait de sa femme aux vertus de laquelle il semblait enfin rendre plus de justice ; désormais, son attitude envers elle allait être caractérisée par un besoin d’abandon et de vie à deux, par la plus entière confiance, chose précieuse dont cette âme angélique était depuis longtemps sevrée et qui lui causait un ravissement dont font foi les lettres qu’elle écrivait à sa mère. Cette étroite union, complète, quoique tardive, devait durer jusqu’à la mort d’Alexandre et embellir les années que les époux avaient encore à passer ensemble. Elle puisait incessamment plus de force dans les sentimens religieux de l’Empereur ; leur ardeur redoublait et se manifestait jusque dans les actes de son gouvernement, dont sa piété ne l’avait pas fait se désintéresser.

A cette époque de sa vie, son biographe nous le montre