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général, cette tendance de tous les côtés à ce qui peut nous rapprocher du vrai règne de Jésus-Christ, me cause une jouissance véritable. » Le 1er mars, annonçant à son confident qu’il vient de faire ses dévotions, il termine par cet aveu : « Jamais je ne les ai faites avec le sentiment que j’ai éprouvé cette fois-ci. »

Sa correspondance avec les hommes dont il sait les opinions conformes aux siennes, présente ainsi non seulement le caractère de la piété la plus ardente, mais elle révèle encore l’incessant souci de pratiquer tous les devoirs d’un bon chrétien et de se pénétrer, par la lecture des livres saints, des vérités éternelles. Ses recherches touchant les choses religieuses occupent alors une grande part de sa vie et il y consacre tous les loisirs que lui laisse le gouvernement de son empire. Les détails que donne à cet égard le grand-duc Nicolas sont trop nombreux pour trouver place ici ; mais ils ne laissent aucun doute sur le mysticisme qui déjà avait pris possession de l’âme d’Alexandre.

On sait que ce mysticisme exalté fut entretenu par la fameuse Mme de Krudener qu’on voit entrer à l’improviste, dans la vie de l’Empereur, à Heilbronn, au mois de mai 1815, lorsque, au lendemain de Waterloo, il revenait vers Paris à la tête des armées alliées qui, pour la seconde fois, envahissaient la France. Il semble bien, c’est du moins l’opinion du grand-duc Nicolas, qu’on ait attribué à cette femme, dont on ne peut dire si c’était une folle ou une intrigante, plus d’influence qu’elle n’en a réellement exercé. On ne saurait contester toutefois que cette influence n’ait été considérable ; nous en trouvons la preuve dans la durée des relations qui se nouèrent entre Mme de Krudener et l’Empereur : commencées en 1815, elles ne prirent fin qu’en 1821, c’est-à-dire à l’époque où elle était à Saint-Pétersbourg : Alexandre s’était fatigué de ses obsessions comme aussi de la propagande à laquelle elle se livrait en faveur des Grecs et elle reçut l’ordre de partir. On a attribué à l’ascendant qu’elle avait pris sur le Tsar, le traité de la Sainte-Alliance conclu entre la Russie, l’Autriche, l’Angleterre et la Prusse et dans lequel la France fut admise, en 1818, à la fin du congrès d’Aix-la-Chapelle. Le grand-duc Nicolas ne pense pas qu’elle ait inspiré, peu ou prou, l’initiative prise par Alexandre pour réunir, en un faisceau indissoluble, les puissances conservatrices de l’Europe. Il fait remarquer, non sans raison, que les historiens qui en ont attribué le mérite à cette femme ou à Metternich, n’avaient pas eu