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nombreux travaux que lui ont consacrés les historiens de tous les pays, et en particulier le grand-duc Nicolas, ne nous laissent rien à dire. Il n’en est pas de même de l’autre et sur ses actes en tant qu’empereur de toutes les Russies, le nouveau livre dont il est le héros, nous apporte des informations neuves et sensationnelles qui nous font connaître un homme que nous ne connaissions pas. Il n’y a pas lieu de décrire ici par le détail sa physionomie, devenue ainsi plus vraie et singulièrement captivante. Mais on nous saura gré d’y ajouter un trait qui la complétera en nous attardant à un épisode que le grand-duc Nicolas semble avoir négligé et sur lequel des révélations venues d’ailleurs ont versé quelque lumière.

Lorsqu’on regarde de près à la vie de l’empereur Alexandre, il est impossible de ne pas considérer comme l’un des faits les plus caractéristiques de son règne la métamorphose morale dont il fut l’objet après cette guerre de 1812, qui est entrée dans l’histoire de la Russie sous le nom de guerre patriotique. Entre le souverain que les Russes avaient connu avant l’invasion française, et le souverain qui se révéla ensuite, la différence est saisissante et surtout au point de vue religieux.

Religieux, il l’avait toujours été, mais avec des intermittences qui autorisent à supposer qu’à plusieurs reprises, sa foi avait été en proie aux atteintes du doute et qu’en tout cas, elle n’avait pas toujours été assez vive pour le soumettre à tous les devoirs d’une discipline rigoureuse quant à sa conduite privée. A cet égard, sa longue liaison avec Marie Naryshkine et le délaissement dont sa femme, la noble impératrice Elisabeth, fut la victime durant plusieurs années, ouvrent une large carrière à toutes les hypothèses. Mais, au cours de la guerre de 1812, et pendant la campagne de 1813, un changement total s’opère en lui. Tout d’abord, il se considère comme investi par la Providence de la mission de délivrer l’Europe du joug de Napoléon. Dès ce moment, tous ses actes s’inspireront de la volonté de vaincre le despote.

Déjà, en apprenant que l’armée française était entrée à Moscou, il avait résolu de ne déposer les armes qu’après avoir détruit la puissance de son allié de la veille, devenu son ennemi. La nouvelle lui avait été apportée par un envoyé du maréchal Koutousoff, le colonel Alexandre Michaud de Beauretour. Savoyard au service de la Russie, ami de Joseph de Maistre, qui