Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 14.djvu/896

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


« Tu es sans foi ; va-t’en vers les corps, vers les âmes,
Rien de nous ne peut plus se mêler à ton cœur.
Tu n’es plus cette enfant, libre comme la flamme,
Qui montait comme un jet de bourgeons et d’odeurs.

« Nous fûmes ta maison, ta paix et ton refuge,
Tu n’avais pas, alors, connu le mal humain,
Mais tes pleurs effrénés, plus forts que le déluge,
Ont détruit nos moissons et troublé nos chemins.

« Nous ne serions pour toi qu’un décor taciturne
Qui te fut sans secours dans d’insignes douleurs ;
Fuis l’aube vaporeuse et l’étoile nocturne,
Ton désir s’est voué au monde intérieur !

« L’aurore, les matins, les brises, les feuillages,
Les cieux, frais et bombés comme un cloître vivant.
Les cieux qui, même alors que l’été les ravage,
Contiennent la splendeur immobile des vents,

« Tu les verras au bord des visages qui rêvent,
Où la pâleur ressemble à des soleils couchans,
Au fond des yeux, tremblans comme un lac où se lève
L’orchestre des flots bleus, des rames et des chants !

« Tu les recueilleras au creux des mains ouvertes
Où coule en fusion l’or de la volupté,
Il n’est pas d’autre azur, ni d’autres forêts vertes
Que ces embrasemens plus fauves que l’été !

« L’amour qui me ressemble et qui n’a pas de rives
Te rendra ces transports, ces transes, ces clartés.
Ces changeantes saisons, riantes ou plaintives,
Qui t’avaient attachée à notre immensité... »

— Et je me sens alors hors du monde, infidèle.
Etrangère aux splendeurs des prés délicieux
Où le feuillage uni et nuancé rappelle
La multiplicité du regard dans les yeux ;