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Mais quand le vent se tait, quand l’étendue est calme,
Vous repoussez le verre où luit le vin du Rhin ;
Le Gange, les cyprès, la paresse des palmes
Vous font de longs signaux secrets et souverains ;
Et votre œil fend l’azur et les sables marins,
Immobile, extatique et vague pèlerin !

Vous riez, et tandis que tinte votre rire,
Vos poèmes en pleurs invectivent le sort ;
Vous chantez, justement, de ne pas pouvoir dire
Les sources et le but d’un multiple délire,
Rossignol florentin, grèbe des mers du Nord,
Qui mélangez au thym du verger de Tityre
Les gais myosotis des jardins de Francfort.

— J’ai vu, un soir d’automne, au bord d’un chaud rivage,
Un grand voilier, chargé de grappes de cassis.
Ne plus pouvoir voguer, tant le faible équipage.
Captif sous un réseau d’effluves épaissis,
Gisait, transfiguré par le philtre imprécis
D’un arôme, grisant plus encor qu’un breuvage.

O Heine ! Ce parfum languissant et fatal.
Cette vigne éthérée et qui pourtant accable.
N’est-ce pas le lointain et pressant idéal
Qui vous persécutait, quand de son blanc fanal
La lune illuminait, dans les forêts d’érables,
Vos soupirs envolés vers sa joue de cristal ?

— Vous me l’avez transmis, ce désir des conquêtes.
Cet enfantin bonheur dans les matins d’été.
Ce besoin de mourir et de ressusciter
Pour le mal que nous fait l’espoir et sa tempête ;
Vous me l’avez transmis, ô mon brûlant prophète,
Ce céleste appétit des nobles voluptés !

O mon cher compagnon, dès mes jeunes années
J’ai posé dans vos mains mes doigts puissans et doux ;
Bien des yeux m’ont déçue et m’ont abandonnée.
Mais toujours vos regards s’enroulent à mon cou.
Sur le chemin du rêve où je marche avec vous...