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Pourtant vous goûtiez bien la sensible Allemagne,
Les muguets jaillissant dans ses bois ingénus,
L’horloge des beffrois, dont les coups accompagnent
Les rondes et les chants des filles aux bras nus ;

Vous connaissiez le poids sentimental des heures
Qui semblent fasciner l’errante volupté,
Quand l’or des calmes soirs recouvre les demeures,
Les gais marchés, le Dôme et l’Université ;

Mais, fougueux inspiré, fier ami des naïades,
Les humaines amours vous berçaient tristement.
Et vous trouviez, auprès d’une enfant tendre et fade,
La double solitude où sont tous les amans !

Accablé par la voix des forêts mugissantes,
Vous inventiez Gordon, ses palais et ses bains,
La fille de l’alcade, altière et rougissante.
Qui, trahissant son âme offerte aux chérubins,
Soupire auprès d’un jeune et dédaigneux rabbin...

Les frais torrens du Hartz et la mauresque Espagne
Tour à tour enivraient votre insondable esprit.
Que de pleurs près des flots ! de cris sur la montagne !
Que de lâches soupirs, ô Heine ! que surprit
La gloire au front baissé, votre sombre compagne !

Parfois, vers votre cœur, que brisaient les démons.
Et qui laissait couler sa détresse infinie,
Vous sentiez accourir, par la brèche des monts,
Les grands vents de Bohême et de Lithuanie ;

Les cloches, les chorals, les forêts, l’ouragan,
Qui composent le ciel musical d’Allemagne,
Emplissaient d’un tumulte orageux, où se joignent
Les résineux parfums des arbres éloquens.
Vos Lieder, à la fois déchirés et fringans.