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Le Neckar, au courant scintillant et rapide,
Entraînait le soleil parmi ses fins rochers.
Nous étions tout ensemble assouvis et avides ;
L’insidieux automne avait sur nous lâché
Ses tourbillons de songe et ses buis arrachés...

O sublime, languide, âpre mélancolie
Des beaux soirs où l’esprit, indomptable et captif,
Veut s’enfuir et ne peut, et rêve à la folie
D’enfermer l’univers dans un amour plaintif !

Tout à coup, dans le parc public, humide et triste.
L’orchestre qui jouait sur les bords de l’étang,
Près d’un groupe attentif de studieux touristes.
Lança le son du cor qui chante dans Tristan...

Henri Heine, j’ai su alors pourquoi vos livres
Regorgent de buée et de soudains sanglots.
Pourquoi, riant, pleurant, vous voulez qu’on vous livre
La coupe de Thulé qui dort au fond des flots ;

L’amour de la légende et la vaine espérance
Vous hantaient d’un appel sourdement répété :
Hélas ! vous aviez trop écouté, dès l’enfance.
Les sirènes du Rhin, à Cologne et Mayence,
Quand l’odeur des tilleuls grise les nuits d’été !

Voyageur égaré dans la forêt des fables,
Moqueur désespéré qu’un mirage appelait.
Ni le chant de la mer d’Amalfi sur les sables.
Ni la Sicile, avec l’olivier et le lait.
Ne pouvait retenir votre vol inlassable.
Pour qui l’espace même est un trop lourd filet !

— O soirs de Düsseldorf, quand les toits et leur neige
Font un scintillement de cristal et de sel.
Et que, petit garçon qui rentrait du collège,
Vous évoquiez déjà, rêveur universel,
L’oriental aspect de la nuit de Noël !