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Il l’est sous nos yeux, non pas, comme l’écrivait le maréchal, par une poignée de 50 000 soldats, mais par les 500 000 hommes que l’Allemagne peut jeter sur nos frontières en un espace de temps deux fois moindre qu’il y a vingt ans. Elle s’est activée dans l’intervalle, parce qu’elle a senti que nous nous ralentissions. Elle a fait retour à la conception des armées de métier, parce que nous paraissions évoluer vers celle des milices. Elle a patiemment préparé sa loi de 1913, parce qu’elle n’apercevait pas de réponse stratégique plus péremptoire à notre loi de 1905.

Telle est cependant pour certains esprits français la foi dans le système militaire actuel, que, même devant cette réplique, il leur parait encore défendable. Ils proposent de réduire nos unités de l’intérieur au rôle de troupes-cadres, ou de dépôts destinés à la formation des recrues, tandis que le gros de l’armée active occuperait la région frontière et formerait face à l’Allemagne une couche militaire d’une particulière densité. Les troupes-cadres se mobiliseraient par l’absorption d’un nombre considérable de réservistes. Quoique n’étant plus en somme que des formations de réserve, elles constitueraient les armées proprement dites et viendraient en leur temps appuyer la résistance faite dès la première heure par les troupes-frontière sur le territoire envahi.

Ces idées tendancieuses sont incompatibles avec les conditions de notre défense, c’est-à-dire avec l’existence même de notre pays.

Et d’abord, une barrière de troupes actives dressée le long de la frontière serait aux yeux de l’adversaire un appareil peu menaçant, et qui n’aurait compromis que nous. Une armée de première ligne, mise tout entière en couverture, n’est qu’une armée prématurément déployée et tombée d’avance dans le plan de l’ennemi. Des armées de deuxième ligne, composées tout entières de réservistes, sont impropres à supporter le choc de masses professionnelles, pareilles à celles que l’Allemagne va se donner. Ainsi, la répartition des rôles serait chez nous l’inverse de ce que le bon sens réclame : nous ferions de la défensive avec nos jeunes soldats, de l’offensive avec nos vétérans. Entre des forces de couverture qui n’auraient pas l’initiative des opérations, par la raison qu’elles ne doivent pas la prendre, et des armées de campagne impropres à la ressaisir, parce qu’elles se rassembleraient trop tard, nous nous serions mis