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27 cavaliers sont dans leur deuxième année de service ; il faut en déduire un tailleur, un sellier, un bottier, un cycliste, deux ordonnances. C’est avec le reste qu’on a dû, depuis le 1er octobre, poursuivre l’instruction spéciale des télégraphistes et des mitrailleurs, encadrer 80 recrues, assurer le service de garde et de place, le dressage, le travail et la condition de 190 chevaux dont 40 ne sont âgés que de 5 ou 6 ans et réclament encore des soins particuliers. C’est dire que les anciens n’ont pu participer aux exercices et que l’escadron s’est trouvé partagé en deux groupes : des cavaliers d’un an qui ne montent plus à cheval, et des jeunes soldats, qui n’y montent pas encore.

Au moins, l’instruction de ceux-ci a-t-elle été vivement menée. Après deux mois et demi, ils passent les obstacles avec ou sans étriers ; après quatre mois, ils chargent avec toutes les armes ; le 1er mars, devenus mobilisables, on les aligne sur leurs anciens. Le premier rang a 12 hommes au lieu de 16, le second rang est incomplet ; ainsi, l’unité de guerre n’est pas constituée ; cet escadron, troué comme une écumoire, ne présente pas, en bataille, cette rigidité de barre avec laquelle on charge ; mais, même dans cette forme incomplète, il sera difficile de le rassembler. Car voici maintenant les exigences du service intérieur et de la vie régimentaire : on demande au capitaine-commandant des hommes de corvée, des fourgonniers, des plantons, des employés, des ouvriers, des secrétaires, des ordonnances, des cuisiniers. Le lieutenant voit « ses hommes » manquer au dressage, aux théories, aux classes, et disparaître si définitivement de son peloton que, pour la plupart d’entre eux, les deux années de service s’abaissent à n’être plus que six mois d’instruction.

Sa consolation tardive sera de les ravoir à l’époque des grandes manœuvres ; son orgueil modeste, de se mettre à leur tête, et si cette petite troupe toujours incomplète, une vingtaine de lances seulement, fait quand même son affaire, si elle patrouille, éclaire, rapporte et charge bien, si elle peut, derrière un chef aimé, faire sa brèche dans une troupe ennemie, tout le mérite n’en revient-il pas à celui qui a dirigé une instruction si laborieuse ? La patrie n’a-t-elle pas envers ce soldat une dette de reconnaissance ? Et pourrait-elle s’en acquitter autrement qu’en lui rendant « ses hommes, » en lui payant, en monnaie de troupe, tout le prix de son dévouement ?