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trompé d’adresse : en 1912, quand nous laissions sans réponse une loi militaire manifestement dirigée contre nous ; en 1913, quand nous prenons pour notre compte des armemens qui ne nous concernent pas. L’Allemagne, pacifique, ne prépare aucune agression contre sa voisine de l’Ouest ; mais les derniers événemens balkaniques lui imposent des obligations nouvelles ; le Slavisme a brusquement grandi ; il faut lui faire face et, dans l’intérêt même de la paix, équilibrer par des forces allemandes, l’appoint de celles qu’il apporte à la Russie.

Ainsi parle la Gazette de l’Allemagne du Nord. Mais le sens de ses partages et de ses pesées échappera toujours au simplisme de notre esprit, et il ne correspond pas davantage au caractère du contrat défensif qui nous lie avec notre alliée. L’objet de cet accord très général et très élastique est la conservation de la paix européenne. Or, la paix est si souvent menacée, et par tant de côtés à la fois, que chacun doit compter sur soi d’abord pour la conserver. Le jeu de l’alliance n’est donc concevable que si elle assure aux deux contractans une sorte d’indépendance mutuelle, ou, pour mieux dire, de libre concurrence dans le programme de leurs armemens. Chacun d’eux a des intérêts spéciaux, l’un en Asie, l’autre en Afrique, qui divergent d’avec l’intérêt commun ; tous deux peuvent être engagés en même temps dans ces deux parties du monde, sans avoir la faculté d’agir de concert sur le théâtre stratégique européen. C’est ce qui arriva justement en 1905, la Russie étant occupée à la fois par la liquidation de sa campagne de Mandchourie et par la répression de troubles intérieurs. Son influence d’alors, au point de vue de la stabilité européenne, n’était plus que virtuelle, et la paix générale aurait été compromise si elle n’avait pas eu d’autres garanties, au nombre desquelles il faut ranger le caractère même de l’empereur allemand, son âme religieuse, et cette opinion expressément professée par lui, qu’aussi longtemps qu’une guerre européenne n’est pas inévitable, on ne saurait lui donner pour prétexte un conflit colonial.

Il est vrai que les affaires d’Orient pèsent d’un poids tout autre que les affaires marocaines dans la balance politique ; que, selon l’expression d’un journaliste berlinois, les victoires balkaniques sont des succès russes, ce qui est une autre manière de dire que les défaites turques sont des revers allemands. Dès lors, la catastrophe ottomane devait se traduire à Berlin, avec