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n’arrive à égaler à peu près sa rivale qu’en frappant d’une contribution plus forte ses réservistes : elle élève de sept à dix années leurs obligations spéciales en 1892. En dépit de cet artifice, le total de ses instruits ne saurait dépasser 4 000 000 d’hommes. L’Allemagne s’est assuré la disposition de 24 classes instruites, lesquelles, décomptées à la valeur moyenne de 237 000 hommes et réduites dans une proportion de 25 pour 100 pour tenir compte des morts et des invalidités, s’élèveront encore au total de 4 300 000 hommes.

Quant aux effectifs de paix, la loi du 27 mars 1899 les a fixés à 495 500 soldats, et c’est aussi le total que permettrait d’atteindre chez nous une application rigoureuse de la loi de 1889 ; mais l’armée allemande dénombre à part ses sous-officiers (80 000), tandis que les nôtres sont comptés dans le rang. L’avance numérique qu’elle tend ainsi à prendre sur nous devrait nous induire à resserrer les mailles trop lâches de notre loi de recrutement, à limiter les avantages faits à la classe bourgeoise, au détriment des paysans et des ouvriers, et à réduire le nombre des dispensés de tous genres, 70 000 environ pour chaque classe, qui ne passent qu’un an sous les drapeaux. Mais un fort courant d’opinion porte à ce moment chez nous vers la réduction du service à deux ans. La loi du 21 mars 1905 le sanctionne ; en supprimant toutes les dispenses, elle répond au besoin d’égalité qu’on a dit être le plus impérieux de tous pour des Français ; mais, bien qu’elle présente ainsi un caractère d’incontestable rigueur, nos classes, plus faibles que celles de nos voisins et liées à l’état stationnaire de notre natalité, ne nous permettront plus de lutter avec eux sur le terrain des effectifs.

Cet amoindrissement de force pourra nuire au développement de notre politique extérieure. Mais cette conséquence n’est pas aperçue, ou du moins elle est niée par les auteurs responsables du projet de loi. Ils parlent, à la tribune de la Chambre, de l’arbitrage international et de la limitation des armemens. Ils épiloguent sur cette utopie de la paix universelle qu’on s’obstine encore chez nous à appeler « généreuse, » après tout le mal qu’elle a fait à notre pays. Ils espèrent enfin que, si l’Allemagne refuse d’entrer dans l’obédience de la Cour de La Haye, les difficultés budgétaires enrayeront bientôt la montée de ses effectifs.