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militaire si étroitement contigu de tout temps aux prérogatives de la royauté. Son projet démocratique de constituer derrière l’armée active une armée de réserve, qui viendrait la doubler en temps de guerre, ne trouvait d’abord d’autre application concrète que les appels échelonnés de cantonistes, incorporés l’été, pour de courtes périodes, dans les rangs des compagnies actives ; leur instruction sommaire était complétée par des officiers, — véritables missi dominici, — qu’on détachait dans les cantons les jours fériés.

Ces acheminemens hésitans vers le service universel conduisirent du moins à la constitution, ou plutôt à la génération spontanée de cette armée libératrice rangée à l’appel de son roi sous les ordres de Blücher, d’York, de Bülow et de Gneisenau. Dès les derniers jours de 1812, au lendemain même de sa sécession d’avec notre Grande Armée, York vit son corps transfuge se grossir des landwehriens de la Prusse orientale. Lors de la mobilisation générale de l’armée, au mois de mars suivant, des détachemens de chasseurs volontaires, accolés aux bataillons et aux escadrons, donnèrent naissance aux premières forces de landwehr organisées. Grâce à elles, l’armée prussienne, que la lettre du traité de Tilsitt avait réduite à 42 000 hommes, en comptait 130 000 au premier jour de la guerre de l’indépendance ; 250 000, après l’armistice de Dresde ; 264 000, au début de 1814.

La Prusse s’est vue conduite ainsi, par voie expérimentale, au service obligatoire et personnel, devenu légal chez nous dès 1798. Telle est la bizarre conséquence des guerres de l’Empire, qu’à cette époque, les deux nations rivales font entre elles comme l’échange de leurs institutions. Par une sorte de régression militaire, nous revenons aux contingens faibles, au long service, et réduisons notre armée au cadre modeste des légions de Gouvion Saint-Cyr ; la Prusse fait sien, par la loi du 7 septembre 1814, notre ancien principe conscriptionnaire : « Tout Français est soldat et se doit à la défense de la patrie ; » elle pose en face celui de l’instruction primaire obligatoire et sur cette double base, comme sur deux pieds-droits, jette la voûte militaire sur laquelle sa vie sociale va reposer.

Dès 1860, une natalité forte a doublé sa population de 1813 ; en même temps, l’armée active, portée sans cesse à un degré plus haut d’entraînement professionnel, s’est différenciée de la landwehr,