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ENTRE LES DEUX MONDES[1]

SIXIÈME PARTIE[2]


XIX

Cavalcanti et moi, nous nous promenions sur le pont inférieur, nous arrêtant de temps à autre pour regarder la mer et la terre. Car nous étions en vue de la terre. À midi, nous avions atteint 35° de latitude, 6° 53′ de longitude, et nous naviguions désormais à toute vapeur vers les colonnes d’Hercule. Nous apercevions à droite, lointaines, dans une brume légère et lumineuse, les côtes basses et onduleuses du Maroc ; en face, noires et plus proches, les montagnes entre lesquelles se cachaient les portes du monde ancien, ces portes par où s’étaient enfuis Vulcain et Prométhée. Dans le voisinage de la terre, l’Océan, depuis si longtemps assoupi, désert et monotone, semblait tout à coup s’animer sous le souffle d’une forte brise qui faisait d’immenses déchirures bleues dans le voile gris dont la pluie, pendant la matinée, avait couvert la face du monde ; et cette brise soulevait sur l’Océan, — spectacle nouveau, — une merveilleuse tempête par le plein soleil. Du fond mobile et sombrement azuré des eaux surgissaient des vagues énormes, hautes et longues, vertes, semblables à de liquides murailles d’émeraude où auraient scintillé des paillettes d’or ; et ces vagues demeuraient quelques instans dressées, puis se tordaient sur elles-mêmes pour se dissoudre en cent cascades d’argent sur la

  1. Copyright by G. Ferrero, 1913.
  2. Voyez la Revue du 15 février.