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toujours au réel, parce que : « la sensibilité d’Amiel s’exerce sur des chimères, et celle de Stendhal sur des objets réels, proches, concrets... tout est humain chez Stendhal. » Oui, certes, « humain, trop humain, » dirait Nietzsche : oui, certes, la sensibilité de Stendhal s’exerce sur le réel, si l’on peut écrire ainsi, mais sur un réel, volupté et ambition, que je ne croyais pas qui fût l’idéal d’une jeunesse si contemptrice de ses aînés.

De même, et cette fois vous vous y attendiez, une partie au moins de cette jeunesse trouve M. Anatole France « ennuyeux, » parce qu’il est une pure intelligence, et ici je comprends beaucoup mieux ; mais je crois qu’il y aurait beaucoup à craindre d’une génération que l’intelligence poussée jusqu’au génie rebuterait et qui n’aurait de sympathie que pour ceux qui mettent en fuite les idées. Des peuples très forts, très conquérans, très dominans, ont eu pour le jeu des idées une véritable passion, n’ont pas cessé de l’avoir et ne me paraissent pas en être très profondément débilités.

Dans le même ordre d’idées, ces jeunes gens, rapprochant du reste les noms les plus étonnés de se voir accouplés, estiment que « le dilettantisme d’un Renan, d’un Goncourt, n’était qu’une impuissance d’aimer et de choisir, » oubliant que Renan savait « choisir » et choisir non sans un certain péril et par conséquent non sans un certain mérite ; et que, s’il comprenait tout, ce que je souhaite à nos jeunes gens, parmi les choses qu’il comprenait, il y en avait qu’il préférait. On dirait qu’Agathon n’a lu de Renan que les toasts du « Diner Celtique » et ne se doute pas de la Réforme intellectuelle et morale.


N’y a-t-il donc que des enfances ou des juvenilia dans ce petit livre ? Il s’en faut de beaucoup. Il y a des constatations qui sont un peu plus des affirmations, à vrai dire, que des constats, mais qui, ne fussent-elles que des affirmations, feraient plaisir et, pouvant être répétées par beaucoup de jeunes hommes, donneraient de très vastes espérances. D’après les enquêtes, d’après les renseignemens qui sont venus spontanément à lui et d’après ce que lui fait croire ce qu’il souhaite, l’auteur attribue à la jeunesse actuelle cinq vertus cardinales : le goût de l’action, entraînant le mépris de la pensée ; la foi religieuse et particulièrement catholique ; le retour au goût classique ; la