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toute la génération de 1870-1890 et toute celle de 1890-1910 d’avoir été antipatriotes et se posent en inventeurs du patriotisme et s’écrient : « Le patriotisme date de nous ; » n’oubliant que les Liard et les Lavisse et leur immense effort de quarante ans pour reconstituer tout l’enseignement en France ; n’oubliant que toute la reconstitution de l’armée nationale et les cent mille efforts à la refaire et à la remettre à la hauteur de la plus forte des armées européennes ; n’oubliant que les diplomates qui ont abouti à faire l’alliance russe et l’entente anglaise ; et tout cela ne compte pas, puisque M. de Gourmont et Jules Renard... et, de 1870 à 1910, le patriotisme a attendu pour renaître Agathon et ses amis.

Je ne sais ; mais cette vue me semble presque étroite.

D’autant plus qu’Agathon parlant en son nom entend le relèvement, quelquefois, de façon qui m’étonne. Il honnit Amiel et il préconise Stendhal : « Nulle trace d’amour, d’amitié, d’enthousiasme, d’un sentiment humain chez Amiel. ». Cela est d’une digestion difficile ; mais passons ; Amiel n’a pas « visé à l’action, » donc il est au-dessous de tout et il n’est pas permis d’être un artiste en idées. Soit, passons ; d’autant plus qu’Amiel n’était pas Français et que je ne sais pas ce que son nom vient faire dans ce réquisitoire.

Mais honnir Amiel et proposer Stendhal comme un professeur d’énergie, cela me parait prodigieux. Stendhal, cet éternel voluptueux, cet éternel épicurien, cet éternel théoricien (et praticien, du reste) de la « chasse au bonheur, » toujours athée, toujours immoraliste, cynique souvent, le proposer comme modèle à la génération miraculeuse ; je comprends si peu que je me fusse attendu plutôt à ce que l’on nous reprochât le culte (que du reste j’ai toujours trouvé ridicule) que notre génération a eu pour Stendhal.

« Le voilà, — j’attendais cela, — l’homme qui a énervé les énergies, débilité les courages, incliné les hommes vers la seule recherche de la volupté et que cet homme presque inconnu de son temps, oublié depuis, la génération de 1870-1880 l’ait ressuscité, c’est la marque même de sa dégradation et de sa misère morale ! »

J’attendais cela. Point du tout. Amiel est un énerveur et Stendhal un tonifiant. Pourquoi (car l’auteur donne une raison) ? Pourquoi ? Parce qu’Amiel rêve et que Stendhal songe