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Un autre défaut, inévitable aussi dans ce genre d’enquêtes, ce sont entre les enquêtes des divergences qui sont telles, nécessairement, que le lecteur, le livre fini, sait tout, peut-être, excepté ce que c’est que la jeunesse actuelle. A faire un sommaire des opinions émises, on trouverait que la jeunesse actuelle est anti-intellectualiste et met l’intelligence au-dessus de tout ; qu’elle est « militaire » et qu’elle est « mystique ; » qu’elle est sanguinaire et « idéaliste ; » qu’elle est merveilleusement désintéressée et qu’elle ne songe qu’aux belles places dans l’administration et dans les banques. On perd pied un peu dans ce labyrinthe et dans ces sables mouvans ; on est fort intéressé précisément par ces conflits d’idées et de tendances ; mais pour ce qui est d’avoir devant soi ce que l’auteur a promis, le visage émerveillé de la jeunesse miraculeuse, non ; on ne l’a qu’un peu trouble ; et l’on se dit : « Pour savoir ce qu’ils sont, j’attendrai qu’ils s’accordent. »


Ils ont pourtant un point commun, c’est le mépris immensurable de la génération qui les précède. Jamais, — sans en souffrir du reste, — je ne me suis senti si méprisé. Jamais le mépris des enfans pour les pères, phénomène continuel d’ailleurs et peut-être nécessaire, et je me suis parfois expliqué là-dessus, n’a été ni poussé plus loin ni exprimé avec plus de cordialité. Les pères de ces jeunes gens ont été, selon eux, désespérés, abandonnés, lâches, inertes devant l’œuvre à accomplir, effroyablement neurasthéniques, pessimistes, antipatriotes, en un mot des énervés de Jumièges ; et pour leur redonner l’énergie il faut un miracle, dont est capable, du reste, et c’est ce qui rassure, la jeunesse d’aujourd’hui.

Je m’étonne d’abord que des jeunes gens qui sont traditionnistes, et ceux que nous présente Agathon me paraissent l’être tous, aient pour premier geste traditionniste de casser la planche entre leurs pères et eux et de déclarer à leurs aînés : « Nous ne vous devons absolument rien. » C’est un geste de révolutionnaires et non de traditionnistes ; c’est un geste de 1789 et non de 1913.

Comme ces messieurs me répondront sans doute qu’ils vont