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cher enfant, ce bonheur qu’elle achèteroit au prix de son sang, lui est refusé, le sort ne lui sera pas toujours aussi contraire, il faut l’espérer, sa tendresse obtiendra enfin la récompense qu’elle mérite, elle se verra entourée de ses enfans qui lui sont si chers, le bonheur adoucira bien des peines et ils en seront heureux eux-mêmes. Voilà, cher enfant, ce que j’ai besoin de me répéter sans cesse pour ne pas succomber aux tourmens que j’éprouve ; une bonne conscience et l’espérance sont des appuis bien nécessaires, surtout dans le malheur.

« Adieu, cher enfant, je t’embrasse mille et mille fois, l’ami que j’ai auprès de mon Beaujolois (son cœur) lui dira combien c’est tendrement. »


« Voici une lettre pour ta sœur, cher enfant, tu la lui remettras toi même si tu veux... quoique je ne reçoive pas le plus foible témoignage du souvenir de cette pauvre petite, je n’ai pu résister au besoin de lui écrire, surtout depuis l’arrivée de ta lettre d’hier qui me donne une véritable inquiétude.

« Mon Dieu, il seroit bien affreux que la sévérité d’une loi portât sur notre pauvre petite qui est dans l’âge où on ne peut avoir de volonté ; j’espère, mon Beaujolois, que la décision nous sera favorable ; hélas ! si cela pouvoit ne pas estre, mon cœur en seroit déchiré, pour toi, pour elle, pour moi, car enfin un temps viendra (et j’ai besoin de me flatter qu’il n’est pas si éloigné) où je pourrai serrer dans mes bras mes chers enfans. »


Ce mardi (5 mars 1793).

« Ah ! quel malheur[1], mon Beaujolois, jamais, jamais je ne pourrai m’en consoler ni pour mes enfans, ni pour moi, mais on partage ma douleur et ta lettre a porté quelque adoucissement dans mon cœur déchiré. Ecris-moi sans cesse, mon Beaujolois, ah ! si j’existe encore, c’est toi, c’est mes enfans qui me retiennent à la vie. Je t’embrasse, cher, cher enfant. Aime et plains ta malheureuse mère.

» Tu auras de mes nouvelles souvent, bien souvent, »

  1. Il s’agit de la mort du Duc de Penthièvre.