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Ce 11 matin (août 1792).

« Les nouvelles de Paris sont affreuses, mon cher enfant, je n’ai plus une goutte de sang dans les veines. Ma seule espérance est que tu auras couché au Rainsi. Quand cela ne seroit pas, tu ne courerois, j’ai bien besoin de me le dire, aucun danger, ton âge est ta sauvegarde, mais c’en seroit un véritable pour mon Beaujolois d’estre témoin de touttes les horreurs dont on parle.

« Donne-moi de tes nouvelles. Je ne vis pas. Comme le courrier de la malle a eu toutes les peines possibles à sortir de Paris, et qu’on n’y laisse entrer qui que ce soit, je n’envoie personne, mais suis dans des transses qu’il est impossible de rendre.

« Écris-moi bien vite, ne fût-ce qu’une ligne. »


Ce 12 matin (août 1792).

« Je te remercie, cher enfant, de ta longue lettre, je ne suis guères en état d’y répondre, mais je crois que je ne l’aurois pas pu du tout, si j’avois eu certitude que mon Beaujolois fût à Paris.

« Je frémis à la seule pensée de la rencontre que tu as été au moment de faire ! C’est le Ciel qui a inspiré ces deux hommes auxquels j’ai de si grandes obligations. Je voudrois les connoitre, hélas ! sans eux tu serois tombé, sans t’en douter, sur ce rassemblement de piques. Que ton cœur doit avoir été déchiré, cher enfant, du triste spectacle que tu as eu sous les yeux ! Le souvenir de ces testes, de tout ce que tu as vu dans cette horrible journée, ne s’effacera pas de ton esprit, mais je ne veux pas m’apesantir sur ce triste sujet, et rendre les impressions que tu as reçu encore plus profondes. Tu juges comment j’ai passé les heures, qui se sont écoulées depuis les premières nouvelles jusqu’à celles qui m’ont appris que le calme commençoit un peu à se rétablir. Puisse-t-il durer !

« Adieu mon Beaujolois, mon cher enfant, je t’aime, je te chéris et je t’embrasse de toute mon âme. »


Ce 6 matin (1792).

» Mon Dieu, mon Beaujolois, que l’article de ta lettre qui a rapport à ce décret de bannissement me fait de mal ! Quelles cruelles supositions ! Je scai bien où mon Beaujolois seroit toujours bien, c’est dans les bras de sa tendre mère, mais, hélas !