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nous étoit plus considérable, je ne recevrois pas de lettres écrites de la veille, je sens que mes maux seroient encore aggravés si Paris étoit plus loin d’Anet…

« Comment t’exprimerai-je, mon Beaujolois, ce que j’ai éprouvé à la lecture de ta petite lettre si touchante, si aimable ! J’ai fondu en larmes, et j’ai senti tout à la fois le bonheur d’avoir un enfant qui me chérit aussi tendrement, et le malheur affreux d’en être séparée depuis si longtemps. Ah mon Beaujolois, lorsque le Ciel aura permis notre réunion, comme je te serrerai dans mes bras, contre mon cœur ! Sois bien sûr, cher enfant, qu’il n’y a pas de jour, d’instant, où je ne pense à toi, et où je ne sois cruellement affectée de notre séparation. Hélas, je les avois partagées avec mon Beaujolois, ces espérances que nous avons eues de nous revoir, de nous embrasser, elles ont été bien cruellement déçues, et je crois, cher enfant, que tu en as été bien affligé, mais j’en étois sûre et, quoique je donnasse tout au monde pour éviter à mon Beaujolois la plus légère peine, je ne pouvois pas, dans ces occasions, ne pas désirer que tu partageasses ma douleur.

« Tes frères sont allés se coucher, et je profite de ce moment pour écrire à mon Beaujolois, mais ce n’est point une réponse à cette lettre que j’ai déjà relue tant de fois et que je relirai tant de fois encore, j’ai mille choses à te dire, et il me faut plus de tems pour cela que je n’en ai ce soir, le plus pressé est de remercier mon Beaujolois, mon enfant si tendrement chéri, et de lui répéter que je l’aime bien plus que ma vie. »


Ce 10 au matin (1792).

… « Je ne veux pas, cher enfant, que tu me dises ton secret, quoique j’ai bien envie de le scavoir, mais il doit me suffire de penser que mon Beaujolois s’occupe pour moi, et j’attendrai la surprise charmante qu’il me prépare. Il faut convenir, cependant, qu’il fait bien tout ce qu’il faut pour exciter ma curiosité, car il m’écrit sans cesse que cet ouvrage est très lassant à faire, mais qu’une fois fait, ce sera on ne peut plus solide, enfin tout ce qui peut retenir le plus mon extrême curiosité.

« De tout cela on peut conclure que mon petit Beaujolois est un petit espiègle bien aimable, mais il y a longtemps que je m’en suis aperçu.

« Ton petit dessin est vraiment fort joli et m’a paru bien fait.