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Le Ciel ne la permit pas, cette réunion. Prisonnier à treize ans, ensuite proscrit, séparé de sa patrie par l’océan, le dernier fils de Philippe-Egalité ne rentra en Europe, en 1808, que pour mourir à Malte.

Marie-Adélaïde, lorsqu’elle écrivit les lettres qui suivent, ne devait jamais revoir son Beaujolais…


… « Tu sçais bien, cher enfant, que tu ne peux pas me faire plus de plaisir qu’en me disant toujours tout ce que tu penses, ta confiance m’est nécessaire, et tout ce qui annonceroit la plus légère réserve blesseroit ma vive tendresse pour toi ; de ma part, tu peux être sûr de la plus exacte vérité, et si malheureusement je ne peux pas t’ouvrir mon âme entière, comme mon Beaujolois le peut et le doit dans tous les momens de sa vie à sa tendre mère, tu peux du moins, mon cher enfant, être bien sûr que je ne te dirai jamais que ce qui sera bien vrai.

« Ce n’est point Mme de Châtellux qui me retient loin de toi, c’est, hélas ! la nécessité la plus impérative.

« À vingt ans, cher enfant, la connaissance que tu as même dès à présent de ta mère ne t’auroit laissé aucun doute à cet égard, mais à ton âge on ne réfléchit guères, et si je te faisois un reproche, ce seroit d’avoir pu croire un moment que qui que ce fût l’emporta sur mon Beaujolois dans mon cœur. Ah ! sois sûr, cher enfant, que ce n’est pas ma foiblesse coupable qui m’empêche de voler dans tes bras, c’est je te le répète, une bien cruelle nécessité , il le faut bien, puisque depuis un an je suis séparée de toi, ce qui est (tu le sens toi-même, cher enfant) la plus dure et la plus forte épreuve à laquelle je pouvois être condamnée, c’est celle qui pèse le plus sur mon cœur qui est rempli de mes enfans, mais telle est ma destinée, et je suis réduite, pour ne pas mourir de désespoir, à chercher au moins à vivre d’espérances.

« Voilà cher enfant, comme je t’ai promis, l’exacte vérité, et sois sûr que je tiendrai dans toutes les occasions l’engagement que j’ai pris avec toi. Continue donc à m’écrire bien souvent et avec cette franchise si aimable qui m’est si chère et si précieuse.

« J’embrasse mon Beaujolois plus tendrement que je ne puis l’exprimer, et je donnerois bien des années de ma vie pour que ce ne fût plus de loin.

« Je le répète, c’est une nécessité absolue qui m’a forcée de