Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 14.djvu/832

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

est tourmenté à l’excès et je t’avoue que cela me donne souvent de l’humeur contre la révolution... Ce que je te prêcherai toujours, c’est la modération ; crois, comme je te le disais, il y a quelque temps, que c’est le cachet d’un bon esprit... »


IX

Chacune des lettres de la Duchesse d’Orléans à Beaujolais, son dernier-né, est un battement de son cœur. De cette source sacrée, il faut laisser couler l’eau pure sans qu’une parole étrangère ne la vienne altérer.

Marie-Adélaïde, chargeant un jour Chartres et Montpensier d’embrasser pour elle leur frère, doutait qu’ils le pussent faire assez tendrement : « Il faudrait pour cela donner son cœur, » disait-elle.

De même, pensera-t-on que, pour oser un commentaire de telles lettres, il faudrait aller le prendre, ce cœur, à la hauteur inaccessible où l’ont placé son amour et sa douleur...

Beaujolais n’avait que deux ans quand il quitta le Palais-Royal pour être mis entre les mains de Mme de Genlis. Un matin de juin 1781, joli, de bonne humeur, volontaire et capricieux, l’enfant, à peine détaché de sa mère, entre à Bellechasse où va commencer son éducation. Il grandit sans que l’atmosphère d’école qui règne en ce lieu lui enlève sa fleur de spontanéité et de sensibilité ; l’instinct qui le porte vers sa mère est rebelle à toute influence. Beaujolais sera l’unique consolation de la Duchesse. Elle répandra sur lui les trésors de son âme qu’elle met à l’unisson de celle de l’enfant. « Ah ! ma tendresse pour toi est dans mon cœur à côté de ma douleur, — lui écrit-elle un jour, — et ces deux sentimens si profonds ne finiront qu’avec ma vie... »

Pour lui plaire, pour l’amuser, elle invente les plus touchantes puérilités.

Celui-là, du. moins, les soins et les leçons de sa gouvernante peuvent orner son esprit, mais ils ne peuvent rien sur son cœur. Il restera toujours pour sa mère l’enfant aimant et bien-aimé.

La Duchesse ne doute pas que la force de ces sentimens ne désarme le sort qui lui rendra un jour, en toute propriété, ce bien précieux. « Ah ! mon Beaujolois, lorsque le Ciel aura permis notre réunion, comme je te serrerai dans mes bras ! »