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Quelle femme, au plus profond d’elle-même, ne sentira passer un frisson devant ces cris de douleur, ces appels, ce désespéré manège de séduction féminine qui, en ces circonstances, prend une grandeur sublime. Pour faire le siège de ces cœurs ravis, elle pleure comme une mère, sourit comme une amante, badine comme un enfant. Prodigieuse et touchante stratégie ! Elle n’omet que les reproches, car elle ne fera pas les enfans juges de leur père.

Avec l’ainé, le Duc de Chartres, presque un homme lorsqu’il quitte le Palais-Royal pour l’armée, elle se fait l’amie compréhensive et indulgente. Qu’il lui confie sans crainte ses premières émotions, les troubles qui l’assaillent dans cet âge indécis ; sa délicatesse de femme, sa tendresse de mère trouveront les conseils, les encouragemens pour maintenir l’adolescent pur, scrupuleux et religieux, mais de sang ardent, dans la voie que sa volonté lui a déjà tracée.

La vie sentimentale de Louis-Philippe a dix-huit ans, la chasteté qu’il observe et que nous révèlent ses lettres, feraient sans doute sourire bien des jeunes gens de cet âge. Mais c’est peut-être là le seul point où l’éducation de Mme de Genlis soit invulnérable. Au milieu du relâchement général des principes et des mœurs, elle sut garder ses élèves dans un parfait état de pureté.

Il est intéressant de constater dans les lettres de Marie-Adélaïde le terrain gagné depuis le jour de la séparation dont son fils la rend responsable, jusqu’à celui où elle arrive bien près du but.


« Il n’y a pas de réponse à faire à votre lettre, mon enfant, aussi ai-je laissé partir votre courrier sans lui en donner une. Que vous dirai-je d’ailleurs ? Que je suis malheureuse, que je suis très souffrante, vous ne l’ignorés pas, mais vous vous y êtes montré bien indifférent, car mes enfans sont les seuls qui n’ont pas seulement envoyé scavoir de mes nouvelles, les personnes que je connaissois le moins m’ont donné cette marque d’intérêt ; cette différence m’a été au cœur. Je vous ai mandé à tous que j’étois dans un état affreux, pas un de vous ne m’a témoigné la moindre sensibilité à cet égard. Tous vos sentimens, toutes vos pensées avoient un autre objet que moi. Ah ! mes enfans, que j’ai besoin de me flatter que les heureux germes que vous aviés annoncé dans votre première enfance ne