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VI

Voici la famille définitivement dispersée ; exils, prisons, échafaud ont le dernier mot dans ce drame de famille, mêlé, à partir de ce moment, à celui de l’Histoire.

Il ne peut être indifférent, à présent que toutes les phases de ce conflit intime ont été exposées dans leur enchaînement logique, de considérer de près ceux qui en furent l’objet ; c’est-à-dire les élèves de Mme de Genlis, les enfans de Philippe-Egalité.

De même que Marie-Adélaïde se fait connaître par ses lettres, celles que les jeunes princes échangent à cette époque nous feront connaître, plus sûrement que le fameux Journal de la gouvernante, leurs caractères, leurs sentimens, leurs opinions.

Car ces enfans, grandis dans des heures tragiques, ne se contentaient pas d’en être les témoins : sous l’influence de leur éducation, ils prennent parti et tournent ingénument les pages du redoutable livre de faits que leur éducatrice estimait pour eux « valoir mieux que tous les autres livres. »

Quel fruit retirent-ils de cette lecture ? Nous l’apprendrons d’eux-mêmes. Nous saurons également si c’est avec raison que la Duchesse accusait Mme de Genlis de lui ravir le cœur de ses enfans.

Ce qui éclate d’abord dans ces lettres, c’est la tendresse exquise qui unissait les enfans de Philippe. Lui-même avait d’ailleurs, pour atteindre ce but, mis tous ses soins, comme le démontre cette lettre qu’il écrit d’Angleterre à Mademoiselle :


A Londres, ce 20 novembre 1789.

« J’ai reçu, ma chère petite enfant, une petite lettre de vous bien gentille et qui m’a fait beaucoup de plaisir. Je ferai toutes vos commissions. Vous aurez bientôt, par la première occasion, maroquin bleu, maroquin jaune et longues chaînes d’acier pour le col. Je ne sais pas trop bien ce que vous voulez dire, mais je m’en informerai avant de faire l’acquisition. Embrassez de ma part et de bien bon cœur votre amie, je suis charmé qu’elle soit contente de vous. J’ai reçu hier une lettre d’elle à laquelle je répondrai incessamment. J’espère qu’un de vos frères vous a embrassée de ma part ; baisez les touts les trois. J’aime que mes enfans se baisent et je voudrois en faire autant, car je les aime bien de tout mon cœur et de toute mon âme.