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de mauvais pressentimens. Cependant ses amis essayaient de l’égayer, l’exhortaient au courage et à l’espérance. Marcianus, en l’embrassant, lui cita un vers de Térence :

« Ce jour, qui t’apporte une vie nouvelle, réclame, en toi, un homme nouveau. »

Augustin souriait tristement. Enfin, on partit. Le vent s’était levé, le vent du grand voyage, qui l’emportait vers l’inconnu... Tout à coup, au souffle du large, il tressaillit. Sa force et sa confiance rebondirent. Partir ! Quelle ivresse pour tous ceux qui ne peuvent pas s’attacher à un coin de terre, qui se savent instinctivement d’ailleurs, qui passent toujours « en étrangers et en pèlerins, » et qui s’en vont avec allégresse, comme s’ils rejetaient un fardeau derrière eux. Augustin était de ceux-là, — de ceux qui, parmi les plus beaux enchantemens de la Route, ne cessent jamais de songer au Retour. Mais il ignorait où Dieu allait le conduire. Marcianus avait raison : une vie nouvelle commençait vraiment pour lui, mais ce n’était point celle qu’ils espéraient l’un et l’autre.

Celui qui partait en rhéteur, pour vendre des paroles, allait revenir en apôtre, pour conquérir des âmes.


LOUIS BERTRAND.