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motif qui l’ait décidé à ce départ, c’est que les étudians de Rome passaient pour moins indisciplinés et moins turbulens que ceux de Carthage. Évidemment, c’était une raison de poids pour un professeur qui répugne à faire la police de sa classe. Mais, outre celles que nous avons dites, il y en eut d’autres, qui durent influencer aussi sa détermination.

En réalité, il ne se sentait pas en sûreté à Carthage : Théodose venait d’édicter contre les manichéens des peines très sévères. Non seulement il les condamnait à mort, mais il avait institué une véritable Inquisition, chargée spécialement d’espionner et de poursuivre ces hérétiques. Augustin jugea-t-il qu’il se cacherait mieux à Rome, où il était inconnu, que dans une ville où il s’était signalé par les excès de son prosélytisme ? En tout cas, son départ autorisa des calomnies, que, bien des années après, ses adversaires donatistes ne manquèrent point de ramasser, en les dénaturant. Ils l’accusèrent d’avoir fui devant la persécution : il se serait dérobé, disait-on, à une sentence prononcée contre lui par le proconsul Messianus. Augustin n’eut pas de peine à réfuter ces fausses allégations. Mais il semble résulter de tous ces faits qu’une prudence bien avisée lui conseillait de passer la mer au plus vite.

Il allait donc s’embarquer. Espérons que, malgré sa sublime insouciance des choses matérielles, il pourvut aux moyens d’existence de la femme et de l’enfant, qu’il laissait derrière lui. Son amie paraît s’être résignée, sans trop de scènes violentes, à cette absence qu’il disait momentanée. Il n’en fut pas de même de sa mère. L’idée seule de Rome, comme celle d’une autre Babylone, épouvantait cette Africaine austère. Quels dangers spirituels son fils n’allait-il pas y courir ! Elle aurait voulu le garder auprès d’elle, pour le ramener à la foi et aussi pour l’aimer : Augustin avait été son seul amour humain. Et puis il était sans doute le principal soutien de la veuve : que deviendrait-elle sans lui ?

Le fugitif dut ruser avec Monique pour mettre son projet à exécution. Elle ne le quittait plus, l’emprisonnait de ses bras, le conjurait, avec des larmes, de rester. Le soir de l’embarquement, elle le suivit sur le port, bien qu’Augustin, pour dépister ses soupçons, lui eût menti. Il prétendait qu’il allait accompagner jusqu’au bateau un ami qui partait. Monique, défiante, s’attachait à ses pas. La nuit tombait. Cependant, le navire,