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Beau parleur et bel esprit, il pouvait tout au plus causer agréablement de littérature.

Cette déception, jointe à ses déboires de carrière, détermina, chez Augustin, une crise d’âme et de conscience. Ainsi, cette Vérité, après laquelle il soupirait depuis si longtemps, qu’on lui avait tant promise, cette Vérité n’était qu’un leurre ! Il fallait se résigner à ne pas savoir !... Alors à quoi s’occuper, puisque la vérité se dérobait ? La fortune et les honneurs l’en consoleraient peut-être. Mais il en était bien loin. Il sentait qu’il faisait fausse route, qu’il s’enlizait à Carthage, comme il s’était enlizé à Thagaste. A tout prix, il importait de réussir !... Et puis il succombait à un de ces momens de lassitude, où l’on n’espère plus se sauver que par un parti désespéré. Il était excédé de son milieu et de son entourage. Ses amis, qu’il connaissait trop, n’avaient plus rien à lui apprendre, ne pouvaient pas l’aider dans l’unique recherche qui le passionnât. Et sa liaison lui pesait. Voilà neuf ans que durait le tête-à-tête. Son enfant était à cet âge ingrat qui indispose plutôt un jeune père qu’il ne réveille en lui une tendresse déjà vieille. Sans doute, il ne voulait point l’abandonner. Il n’entendait pas rompre tout à fait avec sa maîtresse. Mais il avait besoin de changer d’air, de s’en aller ailleurs, pour respirer plus à l’aise, reprendre cœur à la tâche.

Alors l’idée lui vint de tenter fortune à Rome. C’était là que se faisaient les réputations littéraires. Il y rencontrerait sans doute de meilleurs juges qu’à Carthage. Il finirait bien par entrer dans l’enseignement officiel, où il aurait un traitement fixe : ce serait au moins le présent assuré. Probablement, Augustin caressait déjà ce projet, lorsqu’il envoya à Hiérius, orateur de la Ville de Rome, son traité sur le Beau : grâce à cette politesse, il escomptait l’appui éventuel du rhéteur illustre. Enfin ses amis, Honorat, Marcianus et les autres l’engageaient fort à chercher à Rome un théâtre digne de lui. Alypius, qui, en ce moment, y terminait ses études de droit et qui devait déplorer leur séparation, l’y appelait instamment, en lui promettant le succès.

Encore une fois, Augustin était prêt à partir. Bientôt sa résolution fut prise. Il allait quitter les siens, sa femme, son enfant, jusqu’au moment où son nouvel état lui permettrait de les faire venir auprès de lui. Il nous assure que le principal