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il convertissait tout le monde dans son entourage. Grâce à lui, ses amis devinrent manichéens : Alypius un des premiers, puis Nébride, le fils d’un grand propriétaire des environs de Carthage, Honorât, Marcianus, peut-être aussi les plus jeunes de ses élèves, Licentius et son frère, — toutes victimes de sa parole qu’il s’efforcera plus tard d’arracher à leurs erreurs. Si puissant était le charme qu’il exerçait, si profonde surtout la crédulité publique !

Ce IVe siècle n’est déjà plus un siècle de grande foi chrétienne. En revanche, le paganisme agonisant se signale par une recrudescence de basse crédulité et de superstition. Comme l’Église combattait énergiquement l’une et l’autre, il n’est pas surprenant que les païens surtout en aient été contaminés. La vieille religion finit par sombrer dans la magie Les plus grands esprits de l’époque, les philosophes néo-platoniciens, l’empereur Julien lui-même, sont des thaumaturges, ou tout au moins des adeptes des sciences occultes. Augustin, alors séparé du christianisme, subissait l’entraînement général, avec les jeunes gens de son entourage. Nous l’avons vu tout à l’heure faire consulter le devin Albicérius à propos d’une cuillère perdue. Mais cet intellectuel croyait aussi aux magiciens et aux astrologues.

On a retrouvé à Carthage des lamelles de plomb où sont écrites des conjurations magiques contre des chevaux qui devaient courir au cirque. Comme les cochers carthaginois, Augustin recourait à ces pratiques frauduleuses et clandestines pour s’assurer le succès. A la veille d’un concours poétique, il s’aboucha avec un magicien, qui lui proposa, moyennant une somme à débattre, de sacrifier un certain nombre d’animaux, pour lui obtenir le prix. Là-dessus, Augustin se récria, déclarant que, dût-il recevoir ne couronne d’or immortelle, il lui défendait de faire périr une mouche pour lui. Au fond, la magie répugnait à la droiture de son esprit, comme à la sensibilité de ses nerfs, par tout ce qu’elle avait de louche et de brutal dans ses opérations. D’ordinaire, elle se confondait avec l’haruspicine, et elle comportait une partie de cuisine et d’anatomie sacrée, qui révoltait les délicats : dissection des chairs, inspection des entrailles, sans parler de l’abatage et de l’égorgement des victimes. Des fanatiques, comme Julien, se livraient avec délices à ces manipulations dégoûtantes. Ce que