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pourtant, même en ces années-là, son âme en détresse n’avait pas cessé de l’appeler : « Où étais-je alors, Seigneur, tandis que je te cherchais ? — Tu étais devant moi. Mais je m’étais éloigné de moi-même, et je ne me trouvais pas. Combien moins encore pouvais-je te trouver !»

Ce fut assurément la période la plus inquiète, et, par momens, la plus douloureuse de sa vie. A peine revenu à Carthage, il se vit aux prises avec des difficultés matérielles sans cesse renaissantes. Non seulement il lui fallait vivre, mais faire vivre les siens, peut-être sa mère, son frère et sa sœur, — en tout cas, sa maîtresse et son enfant. Était-il déjà père avant de quitter Thagaste, c’est bien possible. Du moins il ne tarda guère à l’être.

Le nouveau-né fut appelé Adéodat. Il y a une sorte d’ironie involontaire dans ce nom, alors très répandu, d’Adéodat, ou « Donné de Dieu. » Ce fils de son péché, comme l’appelle Augustin, — ce fils qu’il n’avait point désiré et dont l’annonce fut, pour lui, une surprise pénible, — ce pauvre enfant était un cadeau du ciel, dont le père surtout se serait bien passé. Et puis, quand il le vit, il en eut une grande joie et il le chérit vraiment comme le Donné de Dieu.

Il accepta vaillamment sa paternité, et même, ainsi qu’il arrive en pareil cas, sa liaison avec sa maîtresse s’en trouva resserrée, prit quelque chose de la dignité conjugale. La mère d’Adéodat justifiait-elle un pareil attachement, — un attachement qui devait se soutenir pendant plus de dix ans ? Le mystère dont Augustin a voulu que la femme qu’il avait le plus aimée fut enveloppée pour toujours, nous est à peu près impénétrable. Sans doute, elle était de condition très humble, pour ne pas dire très inférieure, puisque Monique jugea impossible de faire régulariser par le mariage cette union trop mal assortie. Il y aurait eu une disproportion extrême entre la naissance et l’éducation des deux amans. Cela n’empêcha pas Augustin d’aimer passionnément sa maîtresse, peut-être pour sa beauté, peut-être pour la bonté de son cœur ou les deux ensemble. On s’étonne pourtant qu’avec son humeur changeante, son âme impressionnable et prompte, il lui soit resté si longtemps fidèle. Qui l’empêchait de prendre son fils et de s’en aller ? Les mœurs antiques autorisaient un pareil procédé. Mais Augustin était tendre. Il avait peur de faire de la peine, il redoutait pour autrui les blessures