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des âmes poursuivie par delà la tombe, c’est toute l’espérance et toute la douceur chrétienne.

Augustin n’était plus ou n’était pas encore chrétien. Mais par les larmes, il est le vrai fils de sa mère. Ce don des pleurs que saint Louis de France, avec tant de ferveur et de contrition, suppliait Dieu de lui accorder, le fils de Monique l’eut avec surabondance :


Pour lui pleurer avait des charmes.


Il s’enivrait de ses pleurs. Précisément, pendant qu’il était à Thagaste, il perdit un ami follement aimé. Cette mort ouvrit, en lui, la source des larmes. Ce ne sont pas encore les larmes saintes qu’il répandra plus tard devant Dieu, mais de pauvres larmes humaines, plus pitoyables peut-être pour notre faiblesse.

Qu’était-ce que cet ami ? Il nous l’a dit en termes très vagues. Nous savons seulement qu’ils avaient le même âge, qu’ils s’étaient connus dès l’enfance et avaient fréquenté les mêmes écoles, qu’ils venaient de passer une année ensemble, — probablement à Carthage, — que ce jeune homme, entraîné par lui, était devenu manichéen, et qu’enfin tous deux s’aimaient passionnément. Dans un sens plus profond, Augustin rappelle, à propos de lui, le mot d’Horace sur son ami Virgile : « dimidmm animæ. C’était la moitié de son âme ! »

Or ce jeune homme tomba gravement malade de la fièvre. Comme il était à toute extrémité, on lui administra le baptême, selon la coutume. Il s’en trouva soulagé et presque guéri : « Aussitôt que je pus lui parler, — dit Augustin, — ce qui fut possible aussitôt qu’il put parler lui-même, car je ne le quittais pas, et nous ne pouvions nous passer l’un de l’autre, j’essayai de tourner en ridicule, espérant qu’il s’en moquerait avec moi, ce baptême qu’il avait reçu, privé de connaissance et de sentiment... Mais il eut horreur de moi, comme d’un ennemi, et, avec une liberté aussi surprenante que soudaine, il me déclara que, si je voulais être son ami, je devais cesser de lui tenir un pareil langage. Stupéfait et déconcerté d’une telle réponse, je contins tous les mouvemens qui m’agitaient, me proposant d’attendre le rétablissement de sa santé et de ses forces, pour engager la discussion que je voulais avoir avec lui... »

Ainsi, en ce grave moment, celui qu’on appellera « le disputeur