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longtemps dans de grossières erreurs. Et il alléguait son propre exemple, car lui aussi avait été manichéen. Monique insista, en pleurant. Sur quoi, l’évêque, à la fois excédé de ses instances et touché par ses pleurs, lui répondit, avec une rudesse tempérée de bonhomie et de compassion :

« Allons, laisse-moi ! Continue à vivre ainsi. Il est impossible que le fils de telles larmes soit perdu ! »

Filius istarum lacrymarum : le fils de telles larmes !... Est-ce l’évêque campagnard ou le rhéteur Augustin qui, dans un élan de reconnaissance, a trouvé ce mot sublime ? Ce qu’il y a de sûr, c’est que, plus tard, Augustin vit, dans ces larmes de sa mère, comme un premier baptême, d’où il sortit régénéré. Après l’avoir enfanté selon la chair, Monique, par ses prières et ses gémissemens, l’enfanta à la vie spirituelle. Monique pleurait à cause d’Augustin. Monique pleurait pour Augustin. Cela nous étonne chez cette mère si sévère, cette Africaine un peu rude. Les expressions de larmes, de pleurs et de gémissemens reviennent si souvent dans les écrits de son fils que nous sommes tentés d’abord de les prendre pour de pieuses métaphores, des figures de rhétorique sacrée. Nous soupçonnons que les larmes de Monique sont tirées de la Bible, qu’elles imitent les larmes pénitentielles du roi David. Mais ce serait une erreur que de le croire. Monique pleurait de vrais pleurs. Dans ses ardentes oraisons, elle en arrosait les pavés de la basilique, elle en humectait la balustrade où elle appuyait son front. Cette femme austère, cette veuve strictement voilée dont personne n’apercevait plus le visage, dont le corps n’avait plus de forme sous l’amas des étoffes grises ou noires qui l’enveloppaient de la tête aux pieds, cette chrétienne rigide cachait un cœur plein d’amour. Un amour comme celui-là était alors une chose toute neuve.

Qu’une Africaine pousse la piété jusqu’au fanatisme, qu’elle s’efforce de conquérir son fils à sa foi, qu’elle le déteste et le repousse avec des imprécations, s’il s’en est écarté, voilà ce qui s’est vu de tout temps en Afrique. Mais qu’une mère s’afflige à l’idée que l’âme de son enfant est perdue pour une autre vie, qu’elle s’épouvante et se désespère à penser qu’elle goûtera une félicité dont il sera exclu, qu’elle entrera dans un lieu de délices où son enfant ne sera pas, cela ne s’était point encore vu. « Là où je serai, là aussi tu seras, » près de moi, contre mon cœur, nos deux cœurs confondus dans un même amour, cette union