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Devant, se déployaient des pelouses, des jardins aux allées régulières bordées de buis taillés, qui conduisaient à des bassins et à des jets d’eau, ou bien à des pergolas soutenant des berceaux de feuillages, à des nymphées ornées de colonnes et de statues. Dans ces jardins, il y avait un endroit réservé qu’on appelait « le coin du philosophe. » La maîtresse de maison y venait lire ou rêver. Elle y disposait sa chaise, ou son pliant, à l’ombre d’un palmier. Son « philosophe » la suivait, portant son ombrelle et tenant en laisse son petit chien favori.

On conçoit que, dans une de ces belles villas, Augustin ait supporté sans trop de chagrin les rigueurs maternelles. Pour s’y trouver bien, il n’avait qu’à suivre sa pente naturelle, qui était, nous dit-il, l’épicuréisme. Il est trop certain qu’à cette époque il n’aimait et ne cherchait que la volupté. Chez Romanianus, il se laissait aller à toute la douceur de la vie, suavitates illius vitæ, — partageant les plaisirs de son hôte et ne s’occupant de ses élèves qu’à ses momens perdus. Il devait être aussi peu grammairien que possible : il n’en avait pas le temps. Avec la tyrannique amitié des gens riches, qui ne savent à quoi s’occuper, Romanianus l’accaparait sans doute, du matin au soir. On chassait ensemble, on banquetait, on lisait des vers, on discutait sous les charmilles des jardins, ou dans « le coin du philosophe. » Et, naturellement, le manichéen de la veille s’évertuait à endoctriner et à convertir son mécène, autant du moins qu’un homme léger comme Romanianus pouvait être converti. Augustin s’accuse de l’avoir « précipité » dans ses propres erreurs. Augustin, probablement, n’était point si coupable. Son opulent ami ne semble pas avoir eu des convictions très solides. Selon toute vraisemblance, il était païen, un païen sceptique, ou hésitant, comme il y en avait beaucoup en ce temps-là. Entraîné par Augustin, il s’approcha du manichéisme, puis, lorsque celui-ci abandonna le manichéisme pour la philosophie platonicienne, nous voyons Romanianus se poser en philosophe. Plus tard, Augustin redevenu catholique l’achemine à sa suite vers le catholicisme. Cet homme du monde était une de ces têtes frivoles, qui ne vont jamais au fond des choses, pour qui les idées ne sont que des passe-temps, et qui considèrent les philosophes ou les gens de lettres comme des amuseurs. Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’il écoutait Augustin avec plaisir et se laissait influencer par lui. S’il coqueta avec le manichéisme, c’est parce