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combats d’ours, et autres spectacles jusqu’alors inconnus à Thagaste. Il ne plaignait pas les banquets publics, et, tous les jours, on trouvait, chez lui, table ouverte. Les convives étaient grassement servis. Après avoir mangé ses dîners, ils puisaient dans la bourse de l’amphitryon. Romanianus savait l’art d’obliger discrètement et même de prévenir les demandes délicates. Aussi, on le proclamait, d’une voix unanime, « le plus humain, le plus libéral, le plus raffiné et le plus heureux des hommes. »

Généreux pour sa clientèle, il ne s’oubliait pas lui-même. Il s’était fait bâtir une villa, qui, par l’étendue des bâtimens, était un véritable palais, avec des thermes revêtus de marbres précieux. Il passait son temps au bain, au jeu, ou à la chasse, enfin il menait le train et la vie d’un grand propriétaire terrien de ce temps-là.

Sans doute, ces villas africaines n’avaient ni la beauté ni la valeur d’art des grandes villas italiennes, qui étaient des espèces de musées dans un cadre de nature grandiose ou joli. Mais elles ne manquaient point d’agrément. Comme celle de Romanianus, quelques-unes étaient construites et décorées avec luxe. Très vastes, elles englobaient parfois un véritable canton ; et, parfois aussi, la villa proprement dite, la maison d’habitation du maître, était fortifiée, ceinte de murailles et de tours, comme un château féodal. Sur les portes cochères ou les portées d’entrée, on lisait en belles majuscules : « Propriété d’un tel. » Souvent, l’inscription se répétait sur les murs d’un enclos ou d’une ferme, qui, en réalité, appartenait à un client du grand propriétaire. A l’abri du nom seigneurial, ces petites gens se défendaient mieux contre les exactions du fisc, ou bénéficiaient des immunités de leurs patrons. Ainsi se constituait, sous le couvert du patronat, une sorte de féodalité africaine. Le père d’Augustin, qui possédait des vignes, était sûrement un des cliens de Romanianus.

Centre d’une exploitation agricole, la villa africaine entretenait sur ses terres toute une population d’esclaves, de tâcherons et de métayers. On y voyait la maison du chef des bergers à côté de celle du garde forestier. Des parcs de chasse, défendus par des barrières en treillis, enfermaient des gazelles. Des huileries, des pressoirs et des caves pour le vin faisaient suite aux thermes et aux communs. Puis, le corps de logis, avec sa porte monumentale, son belvédère à plusieurs étages, comme dans les villas romaines, ses galeries intérieures et ses pavillons d’angle.