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pour les lui révéler, du moindre choc pour faire éclater toutes ces forces prisonnières.

Par une pieuse et fidèle reconnaissance, il nous a du moins conservé quelques phrases de ce dialogue qui l’émut si profondément. Il admire, en particulier, ce passage, où l’auteur, après une longue discussion, conclut en ces termes : « Si, comme le prétendent les anciens philosophes, — qui sont aussi les plus grands et les plus illustres, — nous avons une âme immortelle et divine, il convient de penser que, plus elle aura persévéré dans sa voie, c’est-à-dire dans la raison, dans l’amour de la recherche et de la vérité, moins elle se sera engagée et souillée dans les erreurs et les passions humaines, plus il lui sera facile de s’élever et de remonter au ciel... »

Des phrases semblables, lues dans de certaines dispositions, devaient, en effet, bouleverser ce jeune homme qui allait avoir bientôt la nostalgie du cloître et qui allait être le fondateur du monachisme africain. Donner toute sa vie à l’étude de la sagesse, s’efforcer vers la contemplation de Dieu, vivre ici-bas d’une vie presque divine, — Augustin était appelé à réaliser au nom du Christ cet idéal impossible de la sagesse païenne. En lisant l’Hortensius, il l’avait entrevu tout à coup. Et cet idéal lui paraissait si beau, si digne du sacrifice de tout ce qu’il avait aimé, que plus rien d’autre ne comptait pour lui. Il méprisait la rhétorique, ces vaines études auxquelles elle l’obligeait, ces honneurs et cette gloire qu’elle lui promettait. Qu’était-ce que cela au prix de la sagesse ! Il se sentait prêt, pour elle, à renoncer au monde... Mais ces élans héroïques ne se soutiennent guère chez des natures aussi mobiles et aussi impressionnables que celle d’Augustin. Pourtant ils ne sont pas tout à fait inutiles. On a ainsi, dès la première jeunesse, de ces révélations confuses de l’avenir. On pressent le port, où on abordera un jour, on voit la tâche à remplir, l’œuvre à élever, et cela se dresse devant vous dans un ravissement de tout l’être. L’image radieuse a beau s’éclipser pendant des années peut-être, le souvenir en persiste au milieu des pires abaissemens ou des pires médiocrités. Celui qui, une seule fois, l’a vue passer, ne peut plus vivre absolument comme les autres.

Cette fièvre calmée, Augustin se prit à réfléchir. Les philosophes anciens lui promettaient la sagesse. Mais le Christ aussi la promettait ! N’y avait-il pas entre eux une conciliation possible ?