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a près de lui son compatriote Alypius, le futur évêque de Thagaste, qui l’avait suivi à Carthage et qui le suivra |plus tard à Milan ; Nébride, compagnon non moins cher, qui devait mourir prématurément ; Honorât, qu’il entraîna dans ses erreurs et qu’il s’efforça plus tard de détromper, enfin cet autre compatriote, ce mystérieux jeune homme, dont il ne nous a pas dit le nom, et dont il allait pleurer la perte, comme jamais on ne pleura la mort d’un ami.

On vivait dans une familiarité de tous les instans, dans une ferveur et une exaltation continuelles. On était assidus au théâtre, où Augustin repaissait son avidité d’émotions tendres et d’aventures romanesques. On faisait de la musique, on répétait les mélodies à la mode entendues à l’Odéon et sur les innombrables scènes de Carthage : les Carthaginois, même les gens du peuple, étaient fous de musique. Dans ses sermons, l’évêque d’Hippone se souviendra du maçon qui, sur son échafaudage, ou du cordonnier, qui, dans son échoppe, chantait les airs des musiciens en renom. On se promenait sur les quais, ou sur la Place Maritime, en contemplant les colorations de la mer, cette splendeur des eaux au soleil couchant, qu’un jour Augustin célébrera, avec un lyrisme inconnu aux poètes païens. On discutait surtout, on commentait la lecture récente, on élevait de prestigieux projets d’avenir. On coulait une vie heureuse et charmante, traversée tout à coup de superbes pressentimens. Avec quelle abondance de cœur le chrétien pénitent nous l’évoque : « Ce qui m’attachait le plus à mes amis, c’était le charme de converser et de rire ensemble, de nous rendre tour à tour d’affectueux services, de lire ensemble des livres qui parlent de douces choses, de dire des riens et de plaisanter aimablement, de nous disputer parfois, mais sans colère, comme on le fait avec soi-même, et de relever ainsi, par de rares contestations, le plaisir d’être ordinairement d’accord ; de nous instruire mutuellement, de désirer avec impatience l’ami absent, de goûter la joie de son retour. Nous nous aimions les uns les autres de tout notre cœur, et ces témoignages d’amitié, qui s’exprimaient par le visage, par la voix, par les yeux, par mille autres signes, étaient entre nous comme des flammes ardentes, qui opéraient la fusion de nos âmes, et, de plusieurs, n’en faisaient qu’une... »

On comprend que des liaisons comme celles-là avaient dégoûté