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un Africain nourri de littérature romanesque. Déçu, il s’acharnait à poursuivre l’insaisissable Amour. Il eut certainement plus d’une passion. Chacune le laissait plus affamé que devant.

Il était sensuel, et il éprouvait, à chaque fois, combien la volupté est courte, dans quel cercle borné tourne la jouissance. Il était tendre, avide de se donner, et il s’apercevait bien qu’on ne se donne jamais tout entier, que, même dans les momens d’abandon les plus enivrés, on se réserve toujours en secret, on retient pour soi quelque chose de soi ; et il sentait aussi que, la plupart du temps, sa tendresse restait sans réponse. Quand le cœur en fête apporte l’offrande de son amour, le cœur de l’Aimée est absent. Et quand il est là, sur le seuil des lèvres, paré et souriant, pour aller au-devant de l’Aimé, c’est l’autre qui est ailleurs. On ne se rejoint presque jamais, on ne se rejoint jamais complètement. Et ainsi cet Amour, qui se vante d’être constant et même éternel, doit, pour se prolonger, être un perpétuel acte de foi, d’espérance et de charité : croire en lui, malgré ses défaillances et ses éclipses, espérer son retour, souvent contre toute évidence, lui pardonner ses injustices et quelquefois ses vilenies, — combien sont capables d’une telle abnégation ?... Augustin éprouvait tout cela. Il en était abattu. Et puis la nostalgie des âmes prédestinées s’emparait de lui. Il entrevoyait confusément que ces amours humaines étaient indignes de lui et que, s’il lui fallait un maître, il était né pour servir un autre Maitre. Il avait envie de quitter la platitude d’en bas, la triste lande où stagnait ce qu’il appelle « le marécage de la chair, » de s’évader enfin des misérables masures où, pour un instant, il avait abrité son cœur, — de tout brûler derrière lui, pour s’épargner la lâcheté de revenir, — et d’aller planter sa tente plus loin, plus haut, il ne savait où, — sur quelque montagne inaccessible, où l’air est glacé, mais où l’on a devant soi toute la lumière et tout l’espace...

En vérité, ces premières amours d’Augustin étaient trop ardentes pour durer. Elles se consumaient elles-mêmes. Augustin ne les soutint pas longtemps. Il y avait d’ailleurs en lui un instinct profond qui était comme le contrepoids de son exubérante sentimentalité amoureuse : le sens de la beauté. Cela seul aurait suffi pour l’arrêter sur la pente des désordres. L’anarchie et le trouble de la passion répugnaient à son intelligence éprise d’ordre et de clarté. Mais il y avait encore autre chose : le fils du