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les plus modernes se présentent d’elles-mêmes pour traduire leurs folies.

Sage, en somme, et respectueux du bon ordre, comme il convenait à un futur professeur, Augustin réprouvait les violences des Démolisseurs. Cela ne l’empêchait pas de se plaire dans leur société. Il se désolait de ne point leur ressembler tout à fait : croyons-le, du moins, puisqu’il nous l’assure. Avec une modestie inconsciente, où se mêlait pourtant beaucoup de vanité juvénile, il se rangeait dans le troupeau. Il écoutait le conseil de la sagesse vulgaire, si funeste aux âmes de sa sorte : « faire comme les autres. » Il fit donc comme les autres, il connut leurs débauches, ou il se l’imagina, car si bas qu’il descendit, il ne pouvait rien commettre de vil. Il était alors tellement éloigné de la foi, qu’il donnait, dans les églises, des rendez-vous amoureux : « N’ai-je pas osé, mon Dieu, dans les murs de ton sanctuaire, au milieu de la foule qui célébrait tes fêtes, concevoir des désirs criminels et machiner une intrigue pour me procurer des fruits de mort ! » — On croit lire la confession d’un libertin d’aujourd’hui. On s’étonne de ces mœurs à la fois si antiques et si modernes. Quoi, déjà ! Ces jeunes basiliques chrétiennes à peine sorties de terre, où les hommes étaient sévèrement séparés des femmes, ces basiliques devenaient des lieux de rendez-vous, où l’on échangeait des billets doux, où les entremetteuses vendaient leurs mauvais offices !...

Enfin, le grand bonheur, après lequel Augustin soupirail depuis si longtemps, lui fut accordé : il aima et il fut aimé.

Il aima, comme il pouvait aimer, avec l’emportement de sa nature et l’ardeur de son tempérament, de tout son cœur et de tous ses sens : « Je me précipitai dans l’amour, où je désirais être pris. » Mais, comme il allait tout de suite aux extrêmes, comme il prétendait se donner tout entier et voulait tout recevoir, il s’irritait de n’être pas payé de retour : il ne l’était jamais assez. On l’aimait pourtant, et la certitude même de cet amour, toujours trop pauvre à son gré, exaspérait la violence et l’obstination de son désir : « Parce que j’étais aimé, je m’enlaçais joyeusement dans des nœuds de misères, pour être bientôt déchiré par les verges brûlantes de la jalousie, flagellé par les soupçons, les craintes, les colères et les querelles. » C’était la passion à grand orchestre, un peu théâtrale, avec ses violences, ses alternatives de fureurs et d’extases, — telle que pouvait la concevoir