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Il ne voulait plus de la religion où sa mère l’avait élevé. Il était beau parleur, dialecticien habile, il avait hâte de s’émanciper, de conquérir la liberté de sa pensée comme celle de sa conduite, et il entendait jouir de sa jeunesse. Avec de tels dons et dans des dispositions semblables, il ne pouvait que choisir, entre toutes ces doctrines, celle qui servirait le mieux les qualités de son esprit, tout en flattant ses prétentions intellectuelles et en lâchant la bride à ses instincts voluptueux.


III. — L’ÉTUDIANT DE CARTHAGE

Quelles que fussent les séductions de la grande ville, Augustin savait trop bien qu’on ne l’y avait point envoyé pour s’amuser ou pour philosopher en dilettante. Pauvre, il avait son avenir à assurer, sa fortune à faire. Sa famille comptait sur lui. Il n’ignorait pas non plus la situation difficile des siens et au prix de quels sacrifices ils lui avaient fourni les moyens de terminer ses études. Forcément, il fut un étudiant qui travaille.

Avec son extraordinaire facilité, il émergea tout de suite parmi ses condisciples. Dans l’école du rhéteur, dont il suivait les cours, il était, nous dit-il, « le major, » non seulement le premier, mais le chef de ses camarades. Il primait en tout. La rhétorique était, alors, extrêmement embrassante : elle avait fini par absorber toutes les parties de l’enseignement, jusqu’aux sciences et à la philosophie. Augustin se vante d’avoir appris tout ce qu’on pouvait apprendre chez les maîtres de son temps : la rhétorique, la dialectique, la géométrie, la musique, les mathématiques. Ayant parcouru tout le cycle scolaire, il comptait ensuite faire des études de droit et, grâce à son talent de parole, entrer au barreau : pour un jeune homme bien doué, c’était le plus court et plus sûr chemin de la richesse et des honneurs.

Malheureusement pour lui, à peine était-il installé à Carthage, que son père mourut. Cette mort remettait son avenir en question. Sans les subsides paternels, comment poursuivre ses études ? La succession de Patritius devait être des plus embarrassées. Mais Monique, obstinée dans ses projets ambitieux pour son fils, sut triompher de toutes les difficultés : elle continua sa pension à Augustin. Romanianus, le mécène de Thagaste,