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tout cas, les religions occultes y étaient abondamment représentées. La thaumaturgie devenait de plus en plus le fond même du paganisme. Jamais l’haruspicine n’avait été plus florissante. Tout le monde fouillait en secret les entrailles des victimes, ou pratiquait les conjurations magiques. Quant aux devins et aux astrologues, ils exerçaient ouvertement leur industrie. Augustin lui-même les consultait, comme tous les Carthaginois. La crédulité publique était sans bornes.

En face des cultes païens, les sectes issues du christianisme pullulaient. Sans doute l’Afrique n’a donné naissance qu’à un petit nombre d’hérésies : les Africains n’avaient pas l’esprit subtil des Orientaux et ils n’étaient point des spéculatifs. Mais bien des hérésies orientales avaient pénétré à Carthage. Augustin dut y rencontrer encore des Ariens, quoique l’arianisme, à cette époque, tendit à disparaître de l’Afrique. Ce qu’il y a de sûr, c’est que le catholicisme orthodoxe était dans une situation fort critique. Les donatistes lui enlevaient les fidèles et les basiliques : ils étaient certainement la majorité. Ils dressaient autel contre autel. Si Genethlius était l’évêque des catholiques, Parmenianus était celui des donatistes. Et ils se prétendaient plus catholiques que leurs adversaires : ils se vantaient d’être l’Église, la seule, l’unique, l’Église du Christ. Mais déjà ces schismatiques se subdivisaient en une foule de sectes. A l’époque où Augustin étudiait à Carthage, Rogatus, l’évêque de Ténès, venait de se séparer avec éclat de la communion de Parmenianus. Un autre donatiste, Tyconius, publiait des livres où il contestait plusieurs des théories chères aux apologistes de son parti. Le doute troublait les consciences. Au milieu de ces controverses, où trouver la vérité ? Chez qui était la tradition apostolique ?

Pour mettre le comble à cette anarchie, une secte, qui se réclamait, elle aussi, du christianisme, — le manichéisme, — commençait à faire de nombreux adeptes en Afrique. Suspecte à l’autorité, elle cachait une partie de ses doctrines, les plus scandaleuses et les plus subversives. Or, ce mystère dont elle s’entourait contribuait encore au succès de sa propagande.

Parmi tous ces apôtres qui prêchaient leur évangile, ces dévots qui battaient le tambour devant leur dieu, ces théologiens qui s’injuriaient et s’excommuniaient entre eux, Augustin apportait le scepticisme superficiel de sa dix-huitième année.