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l’ambition de tous les hommes de talent. Il avait une âme de poète, prompte à l’enthousiasme : la vue des Aigles dressées sur l’Acropole de Carthage lui laissa une impression ineffaçable. Il s’habitua à voir grand, à s’affranchir de ses préjugés de race et de toutes les étroitesses de l’esprit local. Devenu chrétien, il ne s’enfermera pas, comme les donatistes, dans son Église d’Afrique : il rêvera d’égaler l’Empire terrestre du Christ à celui des Césars.

Pourtant, cette unité romaine ne doit pas nous faire illusion. Derrière la façade imposante qu’elle offrait d’un bout à l’autre de la Méditerranée, la diversité des peuples avec leurs mœurs, leurs traditions, leur religion particulière, subsistait toujours, en Afrique plus qu’ailleurs. La population de Carthage était étonnamment mélangée. Le caractère hybride de ce pays sans unité s’y reflétait dans la bigarrure des foules carthaginoises. Tous les échantillons des races africaines s’y coudoyaient dans les rues, depuis le nègre amené de son Soudan natal par les marchands d’esclaves, jusqu’au Numide romanisé. L’afflux sans cesse renouvelé des trafiquans et des aventuriers cosmopolites augmentait encore cette confusion. Et ainsi Carthage était une Babel de races, de coutumes, de croyances et d’idées. Augustin, qui était, dans son fond, un mystique, mais aussi un dialecticien passionné pour les discussions brillantes, Augustin trouvait là un abrégé vivant des religions et des philosophies de son temps. Pendant ces années d’études et de recueillement, il va amasser tout un butin de science et d’observations, qu’il saura utiliser par la suite.

Dans les sanctuaires et les écoles de Carthage, sur les places et dans les rues, il put voir défiler les disciples de tous les systèmes, les suppôts de toutes les superstitions, les dévots de tous les cultes. Il entendait les clameurs aigres des disputes, le tumulte des rixes et des émeutes. Quand on était à bout d’argumens, on s’assommait entre adversaires. L’autorité avait bien de la peine à rétablir l’ordre. Logicien intrépide, Augustin devait être pressé de prendre parti dans ces querelles. Mais on ne s’improvise pas une foi du jour au lendemain. En attendant l’illumination de la vérité, il observait la Babel carthaginoise.

Il y avait d’abord le culte officiel, le plus apparent et le plus brillant peut-être, celui de la Divinité des empereurs, qui se perpétuait