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récriminations contre cet abus de fonctionnarisme. Une ville si bien administrée n’en était pas moins une excellente école pour un jeune homme qui devait cumuler plus tard les fonctions d’évêque, de juge et d’administrateur. La bienfaisance de l’ordre, de ce qu’on appelait « la paix romaine, » le frappait sans doute d’autant plus qu’il venait d’une région turbulente, fréquemment bouleversée par les agitations des sectes religieuses et par les brigandages des nomades, pays limitrophe des régions sahariennes, où l’action du pouvoir central s’exerçait plus difficilement qu’à Carthage et dans les villes maritimes. Pour sentir la beauté de l’administration, rien n’est tel que de vivre dans des pays où tout est réglé par la force ou le bon plaisir. Les Barbares qui s’approchaient de la civilisation romaine étaient saisis d’admiration pour le bel ordre qu’elle faisait régner. Mais ce qui les étonnait surtout, c’était l’ubiquité de l’Empire.

Un homme, quelle que fût sa race ou sa patrie, ne pouvait qu’être fier d’appartenir à la cité romaine. Il était chez lui dans toutes les contrées du monde soumises à la domination de Rome. Notre Europe morcelée en nationalités ne comprend plus guère ce sentiment d’orgueil si différent de nos étroits patriotismes. Pour en éprouver quelque chose, il faut aller aux colonies : là, le moindre des nôtres peut se croire souverain par son seul titre de citoyen de la métropole. Dans le monde antique, ce sentiment-là était très fort. Carthage, où le prestige de l’Empire apparaissait dans tout son éclat, le développa sans nul doute chez Augustin. Il n’avait qu’à regarder autour de lui, pour apprécier l’étendue du privilège conféré par Rome à ses citoyens. Des hommes venus de tous les pays, sans acception de races, étaient comme associés à l’Empire, collaboraient à la grandeur de la chose romaine. Si le proconsul qui habitait alors le palais de Byrsa, le célèbre Symmaque, appartenait à une vieille famille italienne, celui qu’il représentait, l’empereur Valentinien, était le fils d’un soldat de Pannonie. Le comte Théodose, le général qui réprimait en Maurétanie l’insurrection de Firmus, était un Espagnol ; et l’armée qu’il avait conduite en Afrique se composait, en majorité, de Gaulois. Plus tard, sous Arcadius, un autre Gaulois, Rufin, sera le maître de tout l’Orient.

Un esprit réfléchi comme celui d’Augustin ne pouvait rester indifférent devant ce spectacle du monde ouvert par Rome à