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rues droites, pavées de larges dalles, s’entre-croisaient autour de ces monumens, formaient un réseau de grandes avenues, très claires et très aérées. Quelques-unes étaient célèbres, dans le monde ancien, ou par leur beauté ou par leur animation commerçante : la rue des Orfèvres, la rue de Saturne, la rue de la Santé, la rue Céleste, ou rue de Vénus. Le marché aux ligues, le marché aux légumes, les greniers publics étaient aussi parmi les centres principaux de la vie carthaginoise.

Nul doute que l’aspect de Carthage, avec ses monumens, ses places, ses avenues, ses jardins publics, ne fût celui d’une grande capitale et qu’il ne répondit pleinement à l’idéal de force et de magnificence un peu brutales que les Romains imposaient partout.

En même temps qu’elle éblouissait le jeune provincial de Thagaste, la Rome africaine lui révélait la vertu de l’ordre, — l’ordre social et politique. Métropole de l’Afrique occidentale, Carthage entretenait une armée de fonctionnaires, qui se partageaient l’administration jusque dans ses plus petits détails. D’abord, les représentans du pouvoir central, les magistrats impériaux, — le proconsul, sorte de vice-empereur, qui avait autour de lui une véritable cour, une maison civile et militaire, un conseil privé, un officium, comprenant une foule de dignitaires et d’agens subalternes. Puis, le vicaire d’Afrique, qui administrait toute la province, et dont l’officium était peut-être encore plus nombreux que celui du proconsul. Après cela, les magistrats municipaux, ayant à leur tête l’ordre des décurions, — le sénat de Carthage. Ces sénateurs carthaginois faisaient figure de personnages considérables, avec qui leurs collègues de Rome étaient en coquetterie et que les empereurs s’appliquaient à ménager. Sous leur haute surveillance, se groupaient tous les services urbains : la voirie, les bâtimens, la perception des taxes municipales, la police, qui comprenait jusqu’à des gardiens du forum. Puis les services de l’armée et de la marine. Port d’attache d’une flotte frumentaire qui transportait à Ostie les blés numides, Carthage pouvait affamer Rome, s’il lui plaisait. Les grains et les huiles de tout le pays s’amassaient dans ses docks, — les magasins de l’annone, que dirigeait un préfet spécial, ayant sous ses ordres toute une hiérarchie de scribes et de surveillans.

Sans doute, Augustin dut entendre, à Carthage, bien des