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étonnait d’abord : c’était l’essentiel à leurs yeux ? En somme, leur idéal n’était pas sensiblement différent de celui de nos édilités modernes. Aligner des rues qui se coupent à angle droit, créer des villes régulières, comme des échiquiers, multiplier les perspectives et les grandes masses architecturales, — toutes les cités romaines de cette époque trahissent un souci pareil, avec un plan presque identique.

Conçue d’après ce type, la nouvelle Carthage faisait oublier l’ancienne. On demeurait d’accord qu’elle ne le cédait qu’à Rome. Les auteurs africains lui prodiguèrent les plus hyperboliques éloges : pour eux, elle est « la splendide, l’auguste, la sublime Carthage. » Qu’il y ait bien de la badauderie, ou de l’exagération patriotique dans ces louanges, cela est fort probable. Mais il est certain que la capitale romaine de la province d’Afrique n’était pas moins considérable que la vieille métropole des Hannon et des Barca. Presque aussi peuplée que Rome, elle était à peine moins étendue. Encore faut-il se rappeler que, n’ayant pas eu de remparts jusqu’à l’invasion vandale, elle débordait dans la campagne. Avec ses jardins, ses villas, ses nécropoles, elle couvrait à peu près toute la péninsule, aujourd’hui dépeuplée.

Elle aussi, elle avait son capitole et son palatin sur la colline de Byrsa, où s’élevait sans doute un temple consacré à la triade capitoline de Jupiter, Junon et Minerve, non loin du grand temple d’Esculape, métamorphose moderne du vieil Eschmoûm punique. Voisin des sanctuaires, le palais du proconsul dominait Carthage, du haut des rampes de l’Acropole. Le forum était au pied de la colline, probablement dans le voisinage des ports, — un forum construit et ordonné à la romaine, avec ses boutiques de changeurs et de banquiers disposées sous les galeries du pourtour, avec la traditionnelle effigie de Marsyas et une multitude de statues dédiées aux illustrations locales : Apulée y avait sans doute la sienne. Plus loin, la Place Maritime, où affluaient les étrangers récemment débarqués et les flâneurs de la ville en quête de nouvelles, où les libraires exposaient les livres et les pamphlets du jour. On y voyait une des curiosités de Carthage, — une mosaïque représentant des monstres fabuleux, des hommes sans tête, et des hommes n’ayant qu’une jambe et un pied, un pied immense sous lequel ils s’abritaient du soleil, en se couchant sur le dos, comme