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toujours pas, mais il était « amoureux de l’amour, » — Nondum amaham, et amare amabam... amare amans...

En vérité, aucun poète païen n’avait encore trouvé de pareils accens pour parler de l’amour. Ces phrases subtiles ne sont pas seulement l’œuvre d’un merveilleux artisan de mots : à travers leurs nuances presque insaisissables, elles laissent transparaître une âme toute neuve, l’âme voluptueuse du vieux monde qui s’éveille à la vie spirituelle. Les modernes les ont répétées à satiété, mais à les traduire trop littéralement, — « j’aimais à aimer, » — ils en ont peut-être faussé le sens. Ils ont fait d’Augustin une sorte de romantique à la Musset, un dilettante de l’amour. Augustin n’est pas si moderne, bien que, souvent, il soit très près d’être l’un des nôtres. Lorsqu’il écrit ces phrases, il est évêque et pénitent. Ce qui le frappe, dans sa vie inquiète et fiévreuse de jeune homme et d’adolescent, c’est ce grand élan de tout son être qui l’emportait vers l’amour. Manifestement, l’homme est fait pour aimer, puisqu’il aime sans cause et sans objet, puisque la seule idée de l’amour est déjà, pour lui, un commencement d’amour. Seulement, il se trompe en donnant aux créatures un cœur que le Créateur seul peut emplir et satisfaire. Dans cet amour de l’amour, Augustin reconnaît le signe de l’âme prédestinée, dont la tendresse ne se reposera qu’en Dieu. C’est pourquoi il répète ce mot d’aimer avec une sorte d’ivresse. Il sait que ceux qui aiment comme lui ne peuvent aimer longtemps de l’amour humain. Non, il ne rougit pas de l’avouer : il a aimé, — il a aimé de toute son âme, il aimait jusqu’à l’attente de l’amour. Heureux présage pour le chrétien ! Un cœur aussi fervent est promis aux noces éternelles.

Avec cette ardeur de passion, cette sensibilité vive, Augustin était une proie pour Carthage. La ville voluptueuse le prit tout entier, par son charme et sa beauté, par toutes les séductions de l’esprit et des sens, par ses promesses de plaisir facile.

D’abord, elle amollit ce jeune provincial habitué à la vie rustique et plus sévère de son municipe, elle détendit le Numide contracté par la rudesse de son climat, elle rafraîchit ses yeux brûlés de soleil dans l’abondance de ses eaux et la suavité de ses horizons. C’était une ville de paresse et surtout de volupté, autant pour ceux que le souci du négoce absorbait que pour les oisifs. On l’appelait Carthago Veneris, Carthage-de-Vénus. En