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Scutari sera-t-il repris ? A quoi bon, puisque la ville, quoi qu’il arrive, ne doit pas appartenir aux Monténégrins ? Sir Edward Grey a dit que les Puissances ne permettraient pas une nouvelle et inutile effusion de sang. Cette guerre, qui a été si heureuse, si fructueuse pour la Bulgarie, la Serbie et la Grèce, finit plus médiocrement pour le Monténégro. C’est lui pourtant qui l’a déclarée avant tous les autres ; c’est lui qui a tiré le premier coup de fusil. Se doutait-il alors des déceptions qui l’attendaient ?

Mais la guerre est-elle finie ou le sera-t-elle bientôt ? On ne peut pas encore le dire d’une manière certaine puisque le canon continue de gronder le long des lignes de Tchataldja et que les Bulgares portent déjà de ce côté les forces que leur victoire d’hier a rendues disponibles ; on peut l’espérer toutefois puisque la question d’Andrinople est résolue et qu’elle seule tenait tout en suspens. D’autres restent, il est vrai. L’Europe devra faire accepter par la Bulgarie triomphante la frontière de Midia à Énos, qu’elle a tracée entre les provinces cédées et la Turquie. Elle devra aussi amener les alliés à renoncer au principe d’une indemnité qu’ils revendiquent avec force. Ce sont des difficultés, elles ne semblent pas insurmontables. Après cela, les Bulgares pourront déposer l’épée pour reprendre la charrue, et l’Europe aura sans doute quelque temps de demi-tranquillité. Quelque temps, disons-nous, car cette tranquillité sera provisoire et instable, comme les solutions qui auront été adoptées : elle sera due surtout à l’épuisement général. Qui pourrait croire d’ailleurs qu’après l’effondrement et la presque suppression de la Turquie d’Europe, l’avenir de l’Orient aura été fixé d’un seul coup, pour toujours ? Il faudrait, pour cela, ne pas connaître les races qui restent en présence, les intérêts qui les divisent, les passions qui les opposent les unes aux autres. Mais à chaque jour, à chaque période historique suffit sa peine. La période qui s’achève a été honorable pour l’Europe, puisque, après avoir réussi à localiser la guerre, après lui avoir laissé prendre les développemens inévitables, après en avoir surveillé l’évolution, elle est, à l’heure opportune, intervenue utilement pour y mettre fin.


FRANCIS CHARMES.


Le Directeur-Gérant,

FRANCIS CHARMES.