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mieux aimé tomber tout entier que de s’en aller en morceaux : qui pourrait l’en blâmer ?

Mais, pour bien comprendre le sens du vote, il ne faut pas s’en tenir à la représentation des minorités : elle n’était pas seule en cause, et M. Clemenceau ne s’y est pas attardé. La plus grande partie de son discours a été une critique, beaucoup moins de la réforme proposée que de M. Briand lui-même et du désordre qu’il a apporté autrefois dans le corps politique par des initiatives téméraires et des paroles imprudentes. M. Clemenceau a encore, il aura toujours sur le cœur le discours de Périgueux, où le mot de « mares stagnantes, » relevé par tous les journaux, a eu dans la France entière l’immense retentissement que l’on sait. — Qu’entendez-vous par « mares stagnantes, » a demandé M. Clemenceau, sinon les arrondissemens, et qui avez-vous voulu viser, en tout cas, qui avez-vous atteint à travers les arrondissemens, sinon leurs représentans parlementaires, dont la majorité appartenait au parti radical ? C’est donc le parti radical lui-même que vous avez dénoncé au pays, et cela à la veille même des élections dernières, c’est-à-dire à un moment où ce parti était en droit de compter sur vous pour l’aider à traverser une passe difficile. — Tel a été, dans son fond, le discours de M. Clemenceau, auquel il faut rendre la justice qu’il est allé droit au fait, dédaignant de discuter une fois de plus les modalités de la réforme devant une assemblée qui en était excédée et prenant hardiment la défense du parti radical contre la force des choses, contre la force d’opinion dont il se sent menacé. La vieille, la tenace rancune du parti s’est exprimée sous la forme d’un réquisitoire véhément, et devant une assemblée dont la majorité est elle-même radicale. Aussi tous les coups ont-ils porté. M. Briand, a-t-on dit, est sorti du combat vaincu, mais non pas diminué. Nous le voulons bien, mais il a quitté le ministère. Les radicaux, qui ont été vainqueurs, n’ont pas été diminués non plus, loin de là ! Mis en goût par leur victoire, ils ont repris avec audace toutes leurs ambitions anciennes et se sont apprêtés à rendre la vie très dure au successeur de M. Briand, en attendant qu’ils pussent la lui rendre impossible.

Ce successeur est M. Louis Barthou : il a du talent, de l’adresse, de la présence d’esprit, il était tout indiqué. Nous n’avons pas été toujours d’accord avec lui dans le passé, mais il n’est que juste de reconnaître les qualités brillantes qui ont attiré sur lui l’attention de M. Poincaré. Aussitôt désigné, il s’est mis à l’œuvre. Faites vite, lui disait-on de partout ; les journaux ont été unanimes à le lui