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de l’une des stations, s’éloigne en même temps de l’autre. Pour vérifier cela, l’Association géodésique internationale a fondé six observatoires situés tous à peu près sur le même parallèle, répartis autour du globe et munis des mêmes instrumens. Le succès le plus complet a couronné cette entreprise : on a constaté par exemple qu’à Honolulu, qui est à 180° de longitude de Berlin, les fluctuations de la latitude sont exactement l’inverse en direction de ce qu’elles sont à Berlin et y ont la même amplitude. C’est ainsi qu’avant même d’avoir atteint les pôles, avant qu’aucune créature vivante les ait vus, les hommes, grâce à cette pure lumière que le calcul projette sur l’invisible, avaient repéré non seulement leurs positions exactes, mais aussi leurs moindres mouvemens fixés à quelques décimètres près. N’est-ce pas admirable ?

Mais ce n’est pas tout : la théorie montre que les fluctuations des pôles ne peuvent être expliquées dans l’hypothèse d’un globe terrestre entièrement solide, et elle apporte ainsi une preuve imprévue de la fluidité interne de la Terre que déjà tendaient à démontrer la géologie et la cosmogonie. D’autre part, on a constaté que ces variations du pôle ont une périodicité égale à 427 jours, c’est-à-dire, à très peu près, à l’une des périodes les mieux marquées des marées océaniques. Cela tend à prouver nettement l’origine commune des deux phénomènes et la plasticité de la masse interne du globe qui obéit comme les mers à l’attraction luni-solaire. Enfin, ces résultats ont permis de calculer que a rigidité moyenne du globe terrestre est voisine de celle de l’acier, résultat auquel on était déjà parvenu par d’autres méthodes complètement différentes.

C’est ainsi que nous lisons (dans les lointaines étoiles, à travers l’immensité du ciel, le mot des énigmes que, sous nos pas, derrière la mince écorce qui arrête nos regards, la Terre voudrait jalousement nous cacher.


Il me reste à montrer maintenant quels ont été les résultats scientifiques les plus importans des expéditions qui nous ont conquis récemment, non plus seulement par la pensée, mais en fait, les deux pôles de la planète.


CHARLES NORDMANN.