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Cette solution idéale a été malheureusement impraticable pour les conquérans des deux pôles, pour Amundsen comme pour Peary. Ils ont dû choisir, en effet, pour y arriver, l’époque où la température y est la moins basse, en se laissant le temps d’effectuer leur retour avant que ne commence la terrible nuit polaire qui dure, comme on sait, six mois et succède à un jour de six mois. Le seul astre qu’ils aient pu observer a donc été le soleil. Or, au pôle, le soleil est toujours peu élevé sur l’horizon, et cela rend, comme nous allons voir, beaucoup plus difficiles et moins précises les observations à cause des curieux effets de la réfraction de notre atmosphère.

Chacun a remarqué, en observant un coucher de soleil du haut d’une colline, que près de l’horizon le disque héliaque paraît s’aplatir, et semble, avec les teintes orangées que lui donne le couchant, une gigantesque mandarine posée sous la cloche transparente du ciel. C’est que les rayons solaires traversent alors notre atmosphère sous sa plus grande épaisseur, et elle les dévie comme ferait une lentille de verre, de telle sorte que le soleil parait plus haut qu’il n’est en réalité, cet effet étant naturellement plus prononcé pour le bord inférieur, d’où résulte l’apparence aplatie du disque. Résultat : le soleil se lève en réalité plus tôt et se couche plus tard qu’il ne ferait si la Terre n’avait pas d’atmosphère. La durée du jour s’en trouve allongée d’environ un quart d’heure en moyenne sous nos latitudes et bien plus encore quand ou s’approche des pôles, car la trajectoire diurne du soleil y est bien plus oblique sur l’horizon. Et cela explique que, dans certaines circonstances atmosphériques où la réfraction, par suite de hautes pressions barométriques, était exceptionnellement forte, des baleiniers aient pu voir à la Nouvelle-Zemble le soleil se lever certaines années quinze jours plus tôt que d’autres.

La réfraction modifie donc de quantités variables et souvent très importantes la hauteur réelle du soleil sur Thorizon. C’est pourquoi les explorateurs polaires ne peuvent pas repérer exactement leur position. Le 12 avril 1909, jour où, d’après son récit, Peary parvint près du pôle Nord, le soleil n’était pour lui qu’à 12 degrés au-dessus de l’horizon, et par suite nous estimons qu’il n’a guère pu déterminer la position du pôle à moins de quelques kilomètres près, et sans doute à moins de 10 kilomètres. Les conditions ont été bien meilleures pour Roald Amundsen, d’abord parce que le pôle Sud est sur un plateau de plus de 3 000 mètres de haut où la pression atmosphérique et par suite la réfraction sont très diminuées ; ensuite, parce qu’Amundsen a atteint son but le 15 décembre 1911, tout près du solstice. Ce jour-là, au pôle