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l’exégèse renanienne a montré, sur tant de points, son extrême légèreté. C’est là, peut-être, la plus remarquable et périlleuse bizarrerie de notre époque. Les théories fort brillantes qui ont flori au sujet des épopées grecques, germaniques et françaises vers le temps où l’exégèse renanienne se répandait, nos érudits les ont réformées ; et personne, aujourd’hui, ne croit plus à la production populaire et spontanée des épopées. Mais, pour ce qui est du texte évangélique, nous demeurons touchés de la frivole exégèse renanienne. Et, cependant, le texte évangélique, dit Pascal et disons-le, engage notre tout !...

La question n’est pas résolue. M. Maeterlinck a eu tort de la considérer comme résolue, dans ce livre où il prétendait substituer à l’idée religieuse une idée de philosophie antique. Il fallait d’abord supprimer l’idée religieuse : on ne la supprime pas en un tournemain.

L’eût-on supprimée logiquement, par l’objection de la preuve qui manque, on ne la supprimait pas en réalité : elle subsiste dans les âmes. Et ce livre consolatif devait, pour être persuasif, prendre nos âmes telles que sont nos âmes, fussent-elles déraisonnables.

Ce livre de philosophie, qui nous charme par sa beauté sereine, a le défaut de ne pas nous émouvoir. C’est que notre idée de la mort n’est pas philosophique. « Nous mourons seuls ! » s’écriait Pascal ; et il nous avertissait de ne nous attendre qu’à nous. Mais, en un autre sens, nous ne mourons pas seuls. Et, s’il est un de nos épisodes qui soit accompagné de tous nos entours, de toute notre vie et de toute la pensée de notre lignée, c’est bien la mort. Pour nous aider à en subir l’événement, y a-t-il un autre sentiment que celui de la lignée où nous trouvons notre place d’éternité, la lignée de nos morts ? Il faut passer, du point vivant, à la série morte, où il nous semble nécessaire, avant tout, de n’être pas dépaysés. Et je crois que voilà, en quelques mots un peu obscurs, et obscurs de même que leur objet, pourquoi nous n’avons guère d’entrain ni d’audace à innover, touchant la mort.

Le traité de La mort est une belle méditation de glaciale solitude, relativement à l’heure où la solitude de la pensée nous laisserait le plus amèrement désemparés.


ANDRE BEAUNIER.